mardi 1 juin 2010

22 débiles en shorts courent après un ballon...


Les gens qui n’aiment (vraiment) pas le football - j'entends, presque idéologiquement - n’ont pas beaucoup d’imagination. C’est pourquoi bien souvent, ils essaient d’en dégoûter les autres avec le même argument archi rabaché. Le football, selon eux, est un jeu qui consiste à réunir 22 imbéciles en short sur un terrain pour les faire courir après un ballon.

A l’évidence, une personne qui profère ce genre d’affirmations ne comprend rien au football ou n’a jamais suivi avec un minimum d'attention la retransmission d'un match, car si le jeu consistait réellement à faire courir tous les joueurs après le ballon, il n’y aurait tout bonnement pas de jeu. Pas de matchs à proprement parler. Encore moins de retransimissions. Et puis bien sûr, tout comme le démontre l'Histoire, ce ne serait qu'une sorte de carnage permanent.

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Réfutation en 2 temps

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# 1ère mi-temps / Et bien d'accord, commençons par un peu d’Histoire.

L'ennemi idéologique du football a - sans le savoir - en partie raison. Le jeu consista bien à une époque à réunir des gens pour les faire courir tous ensemble, simultanément, frénétiquement, après le ballon ; sans autre but que cela.

Les gens pensent à tort que le football fut inventé par un rugbyman un peu lunaire qui décida un beau matin de jouer avec ses pieds. C'est une légende trop répandue. Les historiens sérieux pensent que le rugby et le football ont le même ancêtre commun : la soule, ce jeu maudit, comme le qualifia le Parlement de Bretagne en prononçant son interdiction - en je ne sais plus quelle année. La véritable origine du jeu reste toutefois incertaine parce que la soule elle-même partageait beaucoup de similitudes avec d’autres jeux : dont le très violent calcio florentin par exemple, qui opposait les différents quartiers de la ville dans d’effroyables luttes fratricides sans merci ; ou le football gaëlique, plus doux, plus idéaliste, qui interdit notamment les pratiques du plaquage et du tacle.

Ce dont nous sommes davantage certains, c’est que ce n'est que vers la fin du 18ème siècle que le football en tant que tel devint réellement populaire, en Angleterre plus particulièrement. Populaire au point de poser de sérieux problèmes à l'establishment. On pratiquait alors en extérieur un jeu de balle au pied, sauvage et dénué de toutes règles, connu sous le nom de folk football, qui consistait donc simplement à lancer un ballon (qui n'était même pas encore en cuir) au beau milieu de dizaines de personnes effectivement chargées de lui courir après. On jouait alors dans les parcs, dans les champs, on envahissait en hordes les espaces verts des grandes villes, on jouait même dans les rues. Surtout, on y jouait seul contre tous. On se brisait des membres, on se déchirait des muscles et des ligaments ; on y perdait parfois la vie en se faisant passer sur le corps par des foules hystériques et inconscientes. Et c'est pour mettre un terme à ces débordements, à ce véritable phénomène mortifère de société, que le Highway Act, en 1835, décréta l'interdiction pure et simple de la pratique du folk football dans les rues. Ce fut cette 1ère grande décision politique qui, sans aucun doute, permit un peu moins de 30 ans plus tard à la Fédération Anglaise de Football de voir le jour, de codifier le jeu et d’unifier son règlement.

Ces glorieux législateurs se mirent au travail avec un objectif : métamorphoser le jeu afin qu'il ne soit plus jamais cette course perpétuelle et insensée, écrasant sur son passage autant d'hommes que de mâchoires.

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# 2ème mi-temps / Et maintenant, poursuivons avec quelques observations tactiques


Qu'en est-il réellement depuis que le jeu est objectivement né ? 22 joueurs courent-ils réellement après le ballon ?

On relève premièrement que chaque équipe dispose (en théorie) d’un gardien de but. La mission du gardien de but n’est pas de courir après le ballon mais de l’empêcher de rentrer dans ses propres filets. Il se doit donc d’adopter une position statique (mais pas trop) et d’attendre, concentré, que le ballon vienne à lui, même si il est possible que ce ne soit jamais le cas pendant 90 minutes (par exemple : si l’équipe adverse est le P.S.G.). Pendant les matchs, on peut donc parfois le voir s’ennuyer. C'est un spectacle en soi. Il ôte ses gants pour se curer le nez, les enfile à nouveau, il s’hydrate compulsivement, il tourne sur lui-même, génuflexe, génuflexe, fait de grands moulinets avec les bras, il discute avec les spectateurs (le gardien camerounais, Joseph Antoine Bell était spécialiste de la chose, il lui arrivait même de signer des autographes pendant les matchs à travers les grilles de sécurité), il consulte la grande horloge du stade, réprime un bâillement, ah, le voilà qui réceptionne une passe en retrait d’un de ses défenseurs, il renvoie sans prendre de risques le ballon à un arrière latéral, il sautille sur place, content de lui, content d'avoir existé, il a fait son boulot, s'il n'avait pas été là, le ballon serait rentré au ralenti dans le but... puis il s'ennuie à nouveau et le cirque recommence - le cirque de la solitude et l'ivresse de l'ennui. On imagine mal quel tacticien serait assez fou pour demander à son gardien de courir après le ballon. On imagine aussi le compte rendu de L’Equipe du lendemain : « le jeune gardien du FC Sochaux Montbéliard est devenu maboul, il s’est pris pour un joueur de champ, son équipe a été écrasée par Arles-Avignon 35 à 2 ! ». Bien. Compte tenu de cette première évidence, nous pouvons donc commencer par soustraire 2 joueurs. Restent donc 20 joueurs pour courir après la sphère de cuir.

Ces 20 joueurs ont des missions diverses. L’occupation du terrain étant prépondérante en ce jeu, ils sont chargés de se disposer sur toute une moitié de terrain (en tout cas avant le coup d'envoi, ensuite, c'est plus complexe et surtout cela dépend de l'identité de jeu privilégiée par l'entraîneur ; s'il est italien ou s'il s'appelle Mourinho, ça peut durer des décennies comme ça). Les défenseurs jouent près de leur but, afin d’empêcher les attaquants adverses de mettre en danger leur gardien. Les milieux de terrain se situent devant les défenseurs et sont chargés de faire proprement parvenir le ballon aux attaquants, qui jouent devant tous les autres avec l’espoir d’inscrire des buts. Etant entendu qu'il n'y a qu'un seul ballon sur le terrain et qu'il n'est pas doté du don d'ubiquité, les 20 joueurs ne peuvent pas courir simultanément après lui. C'est schématique mais c'est le football expliqué aux petits enfants.

En réalité, la mission d’un joueur de football consiste moins à courir après le ballon qu’à participer avec tous les autres à sa circulation. Pour ce faire, il doit scrupuleusement veiller à se positionner sur le terrain pour la favoriser [offrir des solutions à ses partenaires] et pour empêcher une bonne circulation adverse [priver l'adversaire de solutions]. C’est pourquoi le footballeur fait plus souvent dans le pas chassé que dans la course éperdue. De fait, les équipes qui courent après le ballon sont très souvent les plus médiocres. Celles-là s'exposent, s’éreintent, se fatiguent, se désespèrent et finissent par perdre. Celles qui collectionnent les victoires (celles qui sont en tout cas les plus belles à voir jouer et qui magnifient le jeu) sont au contraire celles qui savent comment le faire courir à leur place. Vous comprenez la nuance ?

CQFD, diraient nos chers législateurs. J'espère qu'à partir de maintenant, on n'entendra plus parler de cette authentique contre-vérité. Il n'y a jamais plus de 3 ou 4 joueurs pour courir après le ballon.

Ah, quel étourdi je fais ! J’ai oublié de mentionner la règle essentielle qui fait du football un jeu si parfait : le hors-jeu. Mais je crois que je vais laisser à Pat le défenseur central le soin de vous expliquer cette règle. Ce billet est en effet déjà bien trop long.



Harald

14 commentaires:

FalconHill a dit…

Ce billet est excellent, je le garde dans mes favoris... (parce que le nombre de fois où on attend cette assertion...)

Vraiment bon billet

Balmeyer a dit…

Hourrah ! Une pensée émue pour le gardien de Sochaux maboul ! :)

Nicolas Jégou a dit…

Ce billet est pédagogique. Bravo.

Néanmoins, une partie du début n'est pas crédible : "la soule, ce jeu maudit, comme le qualifia le Parlement de Bretagne en prononçant son interdiction".

Le Parlement de Bretagne ne peut pas interdire la soule (qui a dérivé en saoulerie quand la langue française pris le pas sur le gallo).

Dorham a dit…

Cher Faucon,

Merci. Et oui, ça n'avait que trop duré cette mensongerie :)

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Oui Bal...

C'est qui d'ailleurs ? Ah oui, Teddy Richert, moi aussi, ça me rendrait patraque si je m'appelais Teddy...

(Arles-Avignon is in the (club-)house !

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Nicolas,

t'as vu, hein ? Je pourrais presque faire professeur et mater tous ces sauvageons incultes...

En fait, un de tes ancêtres a décidé de virer le ballon et d'offrir des pintes à tout le monde... Ensuite, ils se sont quand même foutus sur la gueule...

Ah, ces bretons...

(et puis, ils ont bien essayé de jouer au foot sur des chalutiers, quand le ballon sortait du terrain, fallait aller le rechercher à la nage, c'était pas pratique du tout, combien de mecs broyés par des hélices aussi...triste jeu)

Nicolas Jégou a dit…

Héhé ! J'ai développé un contre argumentaire à l'introduction. Pour faire chier les footeux.

Et les blogueurs geeks (je me suis trompé de blog).

Dorham a dit…

Balmeyer est footeux et geek, alors...c'est pas si mal...

Anonyme a dit…

N'oublions pas la fameuse anecdote du gardien Marcel Aubour qui était un garçon facétieux, natif de Provence, mais gardien de but du Stade Rennais lors d'une finale de Coupe de France en 1971 au Stade de Colombes.
Pendant un arrêt de jeu provoqué par la discussion sur un but refusé aux Rennais, à l'autre bout du terrain, le grand Marcel, très décontracté, ramassa sept ou huit têtes d'artichauts que Louis Castel avait amenées à Paris pour une dégustation gratuite et se mit à s'amuser à la pétanque sous les yeux ébahis des 55 000 spectateurs présents.

Duga
Le bon vieux temps

manutara (manutara) a dit…

Ah, justement, voilà une des choses qui me font détester le foot: cette incompréhension totale qu'éprouvent les aficionados pour ceux qui n'aiment pas ce sport.
Ceci dit, je trouve le foot américain encore beaucoup plus ennuyeux que le foot européen. Contrairement aux fictions ou l'on voit les équipes cavaler en tous sens, les joueurs voler en l'air, l'action en réalité dure quelques secondes suivies d'un quart d'heure de palabre et de mesures avec un invraisemblable mètre suite à quoi on décide de repositionner les équipes ce qui prend encore un autre quart d'heure.

Dorham a dit…

Duga,

Il a eu raison de faire ça en 71, aujourd'hui, Rama Yade ferait ue déclaration pour dire que c'est mal de jouer avec la nourriture.

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Manutara,

Je fais une distinction entre ceux qui n'aiment pas le foot (ils ont bien le droit) et ceux qui en font presque une posture militante.

Je n'ai rien contre ceux qui n'aiment pas le foot, à condition qu'ils ne fassent pas d'observations sur la nature du jeu. Y a plein d'autres choses à critiquer dans le foot : la thune, l'hypocrisie des soi-disant valeurs sportives, le dopage...

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Par ailleurs, je précise que tous les sports américains sont chiants, même le basket ou le Hockey. Les américains ont aménagé leurs sports en les hachant menu afin qu'ils permettent un maximum de diffusion de spots de pubs pendant les retransmissions.

Paul a dit…

Un bémol : les matchs de football pratiqués par les débutants, voire les poussins, c'est effectivement tous après le ballon (et parfois même le goal). Bon c'est pas des équipes de 11, mais ça crée de beaux attroupements.
Quand j'étais minot, j'étais le meilleur défenseur du club tout simplement parce que je regardais évoluer les fourmis sur la terre battue, et que j'étais donc toujours présent pour tacler le joueur adverse qui avait réussi à émerger de la mêlée.
Le problème c'est quand il y avait des soldats ou des transports d'oeufs, là, l'équipe perdait un libéro...

Dorham a dit…

Paul,

C'est vrai. Mais enfin, ça se comprend, allez demander à un mome de 7 ans de rester sur place et d'attendre. Même le bus, c'est difficile alors, le ballon...

detoutderien a dit…

les Gaël ont de tout temps été doux et idéalistes, qui peut encore en douter ?

Paul a dit…

En fait le foot est une école de la vie.
Chacun a un rôle, chacun reste à sa place.

Dorham a dit…

Gaël,

Alors que les Harald...

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Paul,

Une école de la vie ? A tous les niveaux alors, dans ce que cela comporte également d'individualisme et de vice. Je crois que vis à vis du groupe, enfant, le sport peut sans doute vous faire évoluer favorablement ; ou vous rendre pire que vous n'êtes déjà.