mardi 13 juillet 2010

Et voilà, c'est fini...

Je m'en retourne donc à ma retraite de blogueur international. Je rejoins la cohorte des muets du sifflet. La Hollande est championne du monde. Ou l'Espagne. Franchement, je serais très étonné que ce soit l'Uruguay. Si c'est l'Allemagne, je me suspends en ce moment à une corde dans une soupente enténébrée.

Il y aura d'autres coupes du monde. d'autres joies, d'autres peines, d'ici là, le football sera encore un peu moins que ce qu'il est aujourd'hui. Moi, quand j'aurais 75 ans, je raconterai à mes enfants des histoires de gardien maudit.

Je remercie tendrement Pat avec qui j'ai partagé cet espace pendant quelques temps. Et vous, d'avoir bien voulu lire nos textes, parfois approximatifs.


Harald

lundi 12 juillet 2010

Naranjito contre les Oranje

Cette finale de coupe du monde est l'histoire d'une équipe de bons contre une équipe de vraiment très bons. Les bons (les Hollandais) ont beau vouloir, dire ou faire ce qu'ils peuvent, ils savent avant d'entrer sur le terrain qu'ils resteront toujours une classe au dessous des Espagnols, un degré, un niveau, une caste, tout en dessous, à l'ombre, toujours. Les Espagnols sont champions d'Europe en titre. Ils gagnent tout le temps, et sont réputés pour gagner avec la manière, avec un jeu fluide, beau, technique, maitrisé, élégant… que dire encore ? Un jeu presque scientifique, avec Iniesta et sa tête d'ingénieur en football, où l'on construit un fond de jeu comme on construit des ponts, un jeu ciselé, un jeu bibelot, précieux. Pour contrarier ce qui ressemble à une Exposition Universelle du ballon, les bons (les Hollandais), savent qu'ils n'ont qu'une alternative : fracasser le bibelot, saboter le pont. Les bons n'ont pas le choix, il va falloir se métamorphoser en brutes et en truands. Ils va falloir endosser le rôle des méchants face à la Rojà, dont l'évidence de la victoire semble une affaire de Morale ou de Justice.

Et les Oranje comme prévu y vont de bon cœur. Découpage, matraquage, kung-fu, les néerlandais réinventent ce soir-là le concept des  « Restos du Cœur » en improvisant un beau concert des Enfoirés : tacles assassins, coup de semelle dans le thorax, Van Bommel qui, comme d'habitude, parle sans interruption à l'arbitre, Monsieur Webb, dans l'espoir que sa tête explose de lassitude. C'est un miracle que les Hollandais ne prennent pas de carton rouge dès la première mi-temps. L'arbitre n'a pas osé dégainé, craignant sans doute qu'à 8 contre 11 la finale soit un tantinet déséquilibrée.

Les Hollandais font ce qu'ils peuvent, du mal, mais bien. Ils savent qu'ils ne gagneront pas dans le football, et tentent l'anti-football, ils font déjouer leurs adroits adversaires et répandent le scandale, l'agression caractérisée. Ils veulent que les rouges s'énervent et perdent leur sang froid, froissent de rage le plan impeccable de leur radieuse architecture, et répondent du tac au tac. La tactique dites des « onze salopards » a failli marcher. A la fin du temps réglementaire, le match est toujours nul. On s'achemine laborieusement vers une séance de tirs au but, là où les Oranje peuvent réussir la filouterie de gagner. Au passage, Robben rate deux face à face avec Casillas, la gardien espagnol, qui évite du bout du doigt le hold-up inconvenant.

Mais comme de bien entendu, si les Hollandais sont bons, les Espagnols vont être très bons : ils ne vont pas paniquer. On imagine les consignes : ne pas tomber dans le panneau. Garder le cap, premiers de la classe, concentrés sur l'objectif, ne pas prêter attention aux lunettes qui voltigent à cause des baffes qui pleuvent. On a pu dire que les espagnols étaient trop fragiles, trop techniques, qu'ils s'écrouleraient dans une vraie compétition rugueuse, il n'en est rien.

Iniesta finit par marquer dans les prolongations. Il semble que l'univers entier pousse un soupir de soulagement. C'est méchant, mais c'est comme ça. Les autres sont restés en vie tout le match grâce à l'immense mansuétude de l'arbitre qui n'a pas sanctionné leurs expérimentations martiales, mais pourtant les sapeurs bataves, au lieu de le remercier humblement, vont le pourrir pour signaler un hors-jeu imaginaire. C'est la consternation dans les campings : après 1974 et 1978, les Pays-Bas ratent leur troisième finale de coupe du monde. 

Pat

dimanche 11 juillet 2010

L'ombre et la lumière 4 / 4

La 51ème minute a fait basculer la vie de Maradona. Elle lui a grillé son bon d’entrée au rang des légendes officielles du jeu – j’entends par là, celles avalisées par la FIFA (1).

Le meneur argentin n'en est pas à son premier coup d'essai. Depuis quelques temps déjà, on s'interrogeait dans les couloirs de l'institution zurichoise sur sa probité. On disait ici et là que le talent n’excusait pas tout. On s'en rappelle, Diego avait envoyé ses crampons dans le ventre de Baptista en 1982, après s'être fait savater tout le match. Qu'importe, le CV était déjà tâché. Alors qu’il jouait à Barcelone, en 1984, en finale de la coupe du Roi, contre Bilbao, Maradona avait encore vu rouge, dans des proportions encore plus ahurissantes. Une bagarre générale d’une violence quasiment jamais vue avait éclaté sur le terrain et avait sans doute provoqué le transfert du meneur argentin à Naples. Barcelone se lavait les mains de son sort. Là encore, Maradona avait simplement voulu se faire justice lui-même. Un défenseur de Bilbao, Andoni Goicoexea, surnommé Le Boucher basque, l’avait gravement blessé un an auparavant après une intervention digne d'un tueur de sang froid.

La FIFA se contrefoutait des circonstances des coups de sang de l'argentin. On commençait à exiger des stars du jeu qu'elles soient immaculées, propres comme des sous neufs, lénifiantes au possible. Maradona était un sale prolo argentin, sans éducation, incapable de la plus élémentaire maîtrise de soi. Et maintenant, à son casier, s'ajoutaient la 51ème minute et cette main mystico-politique.

On aurait pu en rester là. La 51ème minute avait tout d'une ère de transit pour l'éternité, de purgatoire du jeu. On en serait resté là, sans aucun doute, si Maradona n'avait jamais foulé la pelouse, ce jour là. S'il n'avait alors décidé de distordre l'histoire, d'écrire en 4 minutes une parabole parfaite de son existence : entre chien et loup, ombre, lumière.

On joue la 55ème minute lorsque Maradona récupère le ballon dans son propre camp, échappant au pressing (ou ce que l'on qualifie comme tel) de Peter Beardsley et Peter Reid. Il passe la ligne médiane avec déjà deux victimes à son actif. Effacées. Le stade Azteca vient de se prendre l'histoire en pleine gueule. Il fait lourd, moite, les plus avertis disent encore dans l'oreille de leurs voisins : "il y avait main". Les 115 000 spectateurs sont paumés en compagnie des anglais, pas ici, pas vraiment là, comme des êtres de chair sans esprit. Maradona est quant à lui tout à ce qu'il fait, il a l'avantage de ceux qui rédigent les manuels à leur convenance. Il efface successivement Butcher et Fenwick. Encore les fameux piquets. On pense un instant que cette course folle l'emmènera trop loin, car cette fois, Shilton s'est décidé à être un barrage convenable. Qu'importe Shilton. Comment décrire la beauté de ce dernier dribble ? Et ce but ?Comment restituer fidèlement ce qui se déroule en cet instant ? Les scribouillards du jeu vont vous dire quelque chose comme : Maradona vient de faire basculer la rencontre. Comme si cela pouvait se résumer à cela. Moi, je suis devant mon écran, avec un monde chamboulé entre les mains.

Il vient un temps, bien sûr, où les mots manquent. Où les mots deviennent faibles. Le Football est davantage qu'un jeu et Maradona sera toujours plus qu'un joueur de football, c'est ce qui le rend unique et bien supérieur à d'autres stars du jeu, comme peuvent l'être Pelé, Cruyff ou Platini. C'est pourquoi il inspire à certains une sorte dévotion : lui, le plus humain de tous les joueurs. Les plus authentique. Le plus beau.

Viendra le jour où Maradona quittera ce monde. Buenos Aires sera noir d'êtres humains. des hommes et femmes en maillot albicéleste constitueront cette foule de larmes, de démesure. Si je suis encore vivant pour vivre ce jour, je le vivrais au milieu d'eux. Dévot parmi les dévots.



(1) En 2000, la FIFA organisa un vote par internet afin d’élire le joueur du 20ème siècle. Quand elle prit conscience, quelques semaines avant la clôture du scrutin et la parution des résultats, qui devait être célébré en grande pompe devant l’ensemble des télés du monde, que le résultat ne serait pas celui tant espéré, c'est-à-dire l’élection de Pelé, les officiels décidèrent de créer en quelques jours un deuxième classement : celui des internautes récompensa donc Maradona ; celui des élus de la FIFA inscrivit le nom du numéro 10 brésilien sur le fronton de son panthéon sponsorisé.


mercredi 7 juillet 2010

L'ombre et la lumière - 3/4



Je me souviens relativement confusément du match lui-même. Je me souviens d’échos. De bribes. Je me souviens de cris, surtout. D’insultes, de récriminations démesurées. Exagérées. De chaos, de folie.

Les anglais n’étaient pas beaux à voir, c’est certain, malgré Glenn Hoddle, malgré Trevor Steven. Les argentins semblaient un peu plus empruntés que d’habitude. Le jeu semblait enlisé. En sommeil. Englué dans une sorte de torpeur visqueuse. Je me souviens d’un coup franc argentin qui y était presque. Deux doigts à coté. Je me souviens d’un coup de coude que Maradona reçut en plein visage. Pile dedans. Les anglais se démenaient pour serrer le jeu. Les coups francs se multipliaient comme des petits pains aux abords de la surface. Maradona les soignait, les ballons rasaient les montants, des rumeurs venimeuses glissaient des tribunes.

Tout est en quelque sorte occulté par cette action de la cinquante-et-unième minute. Rien n’existe avant cet instant... A la première mi-temps, crispante, agressive, a succédé la deuxième qui a repris sur un étrange rythme lymphatique. L’opposition semble déséquilibrée et pourtant, ça tient pour les anglais, qui se cramponnent, ahanent, plient sans rompre. Grace à quelques coups vicieux, par ci par là. Des coups de casseurs, de laids, de petits. Avant la 51ème, rien. A la 51ème, tout, soudainement. Comme lorsqu'un rouage en enclenche un autre, qui en enclenche un autre, et un autre encore. Maradona efface plusieurs joueurs, à une vitesse folle. Que verrait-on si l’on voyait par ses yeux ? De la bouillie de milieux anglais. Des milieux anglais transformés en piquets d'entrainement. Maradona est comme le vent. Insaisissable et renversant. C'est grandiloquent ? Je fais ce que je veux. 51ème minute ! Maradona commmande un une-deux à Valdano, serveur-pour-dâme bas de gamme. Le une-deux échoue, parce que la remise de Valdano n’est pas assez précise. Au lieu de retoucher simplement le ballon, l'attaquant argentin se prend pour un autre et effectue une sorte de rotation bizarre, une geste impossible, sans intelligence, comme si son corps commandait à son cerveau et non l'inverse, comme si l'encéphalogramme de son jeu était plat. Le défenseur anglais qui lui colle à l'élastique du short tente de stopper le mouvement mais son intervention fait valser le ballon dans les airs, en direction de Shilton, le vieux gardien anglais, qui mesure un mètre quatre-vingt-trois d'une lourdeur toute britannique. Shilton ! Les gardiens anglais ! La grosse marrade... Le voilà - Peter - qui déploie sa carcasse de pénitent. Course pataude, détente miteuse de pachyderme ringard à retardement, on croirait un lord idiot qui fait la chasse aux papillons tropicaux dans une serre guindée du Yorkshire. After-eight-Shilton approche de la balle en suspension, tandis que vient à sa rencontre le petit frisé Bueno-aérien d’un mètre 65. Un shilling sur le court-sur-pattes ! Cela se joue à quelques micro-poussières de secondes. Avant que le portier anglais ne boxe le ballon, Maradona le propulse dans le but. De la main. Faute lourde. Des deux cotés à mon avis.

Main. Tout le monde l’a vu. Le but est inscrit de la main. Tout le stade l'a vu. Le but n'est pas valable. Les commentateurs, après avoir visionné le ralenti, s’étouffent en rêvant d’un rétablissement immédiat de la Justice Sportive par le Roi Salomon. Coupons le ballon en deux. Mais rien n’y fait. Comment a-t-il fait cet arbitre pour ne rien voir ? Est-il myope ? Fou ? Incompétent ? Personne n’ose prononcer le mot qui affleure sur toutes les lèvres : corrompu ? Il est en tout cas livide, il interroge le néant du regard, le dos de Maradona qui va faire la feria au bord de la touche.

Main, Faute Lourde retenue dans les manuels d'Histoire des supermoraux. C’est ainsi que Diego Maradona fait basculer sa vie dans la légende du football. De la main. C’est une main étrange en fait, moins une main qu'un prolongement de l’esprit. Ce n’est pas une tricherie. C’est bien mieux que cela, c’est une transgression. Une magnifique transgression. Je me souviens de la réaction de ma sœur, tiens ! Elle n’était pas anglaise, ma sœur, que venait-elle donc la ramener ? Rien. Elle était ulcérée. Comme tout le monde, comme la terre entière. Maradona, qui ne lui inspirait absolument rien trente secondes plus tôt, était devenu en quelques secondes la pire des saloperies. Une ordure, un boulimique trop frisé. Une pute arrogante. Un truqueur amoral. C’est ce que je veux dire lorsque j’affirme qu’il s’agissait moins d’une tricherie que d’une transgression. C’était une transgression parce que le geste était consciente, serait revendiquée. Etre victorieux de l’Angleterre via une partie de dès pipés, c’était la revanche magnifique que Maradona offrait à son peuple entier. La petite Argentine humiliée par la Grande Angleterre ? La raclée des Malouines ? Aux oubliettes. Dieu, de sa main, selon Maradona rétablissait un semblant d’équilibre. Cette main était une transgression et Maradona la transforma en message. Les anglais ne subissaient pas seulement une défaite, il subissait (enfin) une injustice. C'est ce que voulut dire Maradona quand il prononça cette expression en conférence de presse : c'est la main de Dieu. Il ne voulut pas dire : je suis Dieu ; mais : ce n’était que justice morale.

Ce n’est pas encore fini, la bile est encore sur toutes les lèvres. Je n’ai pas encore dit un mot. Je j'ai pas prévu de tour de terrain pour l'Argentine. Ce que je vois me cloue pourtant sur le canapé du salon. Hypnotisé, j’entends les hurlements des commentateurs qui piquent des suées. Le jeu a repris après une éternité beuglante. A Liverpool, Londres, Manchester, Bristol, dans toute l'Angleterre, on a perdu un morceau de soi, on s'est étouffé avec son toast au cheddar. Les onze anglais sur le terrain, et ceux du banc, et ceux du stade ont vociféré contre l’arbitre, beuglé tant et plus. Le but a été validé. 1 à 0. Les anglais n'y sont plus, ils ont l’âme ailleurs, ils ont dépensé trop d'énergie soudainement, l'injustice, ça vous vide comme si vous étiez une baignoire munie d'une bonde, les anglais sont transparents, sont spectres, ils sont paumés entre la 51ème et la 55ème minute. Dans l'autre dimension des regrets. 55ème minute, atterrissage ; retour au réel. La minute pendant laquelle je suis devenu argentin.

mardi 6 juillet 2010

Demi-Finales, pronostics



Les jours prochains vont être mouvementés pour les tenanciers de ce blog. Pour Harald, je n'ai pas trop compris, mais je crois qu'il va dans un endroit non civilisé, histoire de se ressourcer au niveau de sa non-civilité, parce que depuis qu'il a quitté le Virage Auteuil, il s'assagit du genoux. Quant à moi, je déménage, carrément, à savoir que je plante des clous dans des vitres avant de réaliser que ce n'est pas comme ça qu'il faut faire, c'est pour cette raison qu'elles cassent. En attendant notre retour (pour ma part mercredi matin), au lieu d'un résultat, je vous programme mes pronostics pour les demi-finales.

Mardi 6 juillet
Uruguay - Pays-Bas

Pour ce match entre le seul pays sud-américain restant, après la déroute de l'Argentine et du Brésil, je vois bien les poètes disparus bataves passer. L'Uruguay, emmené par un Diego Forlan qui joue, lui, son rôle de joueur vedette-locomotive, risque de voir son jeu sapé méthodiquement par les Hollandais violents. Je n'ai rien contre les Hollandais, mais le jeu de mot était tentant. Score annoncé : 2 - 1 en faveur des Pays-Bas.

Scénario probable : Van Bommel va pour mettre quelques coups de pieds dans le ventre de Forlan, puis il tombe et obtient un pénalty. L'Uruguay marque six buts, tous refusés. Les joueurs de la Céleste jouent à six gardiens dans les cages, et finissent la rencontre à cinq joueurs.

Mercredi 7 juillet
Allemagne - Espagne

Les Espagnols, au jeu hyper léché, superbement élaboré, sont bien en place, ils jouent à une touche de balle, de manière fluide, construisent, font des talonnades, récupèrent parfaitement, débordent admirablement, éblouissent par leur technique et leur sens du placement. Ils perdent 4 -0.

Voilà l'occasion de rappeler la célèbre phrase de Gary Lineker, joueur anglais. Je voulais la caser, après Allemagne / Angleterre, et Allemagne / Argentine, mais je n'ai pu, faute de temps.

Voici comment il définit le football : "C'est un sport qui se joue à 11 contre 11, et l’Allemagne gagne à la fin"


Je n'ai pu caser cette phrase, mais vous remarquerez qu'avec l'Allemagne, il n'est jamais trop tard.



Pat

lundi 5 juillet 2010

1 / 4 - Les allemands, les espagnols, les arbitres et la malfaisance de la vidéo

Argentine / Allemagne
0 - 4

Müller, 3'
Klose, 63'
Friedrich, 74',
Klose, 88'

(Harald, pas pouvoir parler de ce match, Harald : ne plus en pouvoir des allemands, dont la constance au plus haut niveau est aussi fabuleuse qu'énervante)


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Espagne / Paraguay
1 - 0

Villa, 83'

(Ce match restera célèbre pour une phase de jeu absolument ahurissante (oh, putain, on croirait lire un clone de Gérard Holtz).

58ème minute : sur un corner du Paraguay, le défenseur espagnol Piqué retient illégalement Cardozo, l'attaquant paraguayen. L'arbitre siffle un penalty justifié. Cardozo le tire lui-même. Le gardien espagnol Casillas l'arrête.

60ème minute : Sur l'action suivante, en fait, alors que les paraguayens ont encore en tête cette occasion d'ouvrir le score qui s'est envolée, les espagnols mènent une offensive de l'autre coté du terrain. David Villa, lancé dans la profondeur, se fait bousculer par un défenseur paraguayen. Re-penalty, pour l'Espagne, cette fois-ci.

Xabi Alonso le tire et le transforme. L'arbitre l'annule cependant et demande à ce que le penalty soit retiré, des joueurs espagnols sont entrés dans la surface avant le tir de leur joueur, ce qui est interdit.

Xabi Alonso s'exécute donc à nouveau avec un poids sur les épaules qui a triplé. Il le rate, cette fois-ci. Sur l'arrêt du gardien paraguayen, les espagnols manquent d'inscrire le but qui les délivrerait. Sur cette action, l'arbitre aurait dû siffler à nouveau penalty sur une autre faute commise sur un espagnol par le gardien paraguayen.

Le match, en quelques instants, est devenu fou. Ce type d'action n'existe et ne peut exister que dans la football. Elle n'existe aussi que parce que la vidéo n'est pas encore autorisée pour assister l'arbitrage. Si tel était le cas, un jour, le football deviendrait un jeu haché, sans âme, javellisée. Mort. Le football ne deviendrait en fait plus qu'un simple jeu, seulement un jeu, et rien d'autre, alors que ces particularités - la rareté du but, sa capacité à s'inscrire dans l'Histoire sur des injustices, des erreurs, des tricheries, des colères - en font quelque chose qui échappe quelque peu aux simples données sportives. NE FAITES PAS DU FOOTBALL UN SPORT !

samedi 3 juillet 2010

L'ombre et la lumière 2/4


22 juin 1986

L’Argentine de Diego Armando Maradona n’était pas encore en finale, elle devait d’abord vaincre l’Angleterre en quart. Et la Belgique, une formalité, en demi. Nous, français, nous remettions donc doucettement du France-Brésil de rêve de la veille. Du penalty manqué de Zico. De celui, libérateur, de Luis Fernandez. La vie était encore belle et j’étais encore insouciant. Les allemands ne m'avaient pas deux fois niqué l'enfance. Il faisait toujours une chaleur de bête, on suait comme des turques obèses dans le hammam de l’enfer et ça ne m’empêchait nullement de multiplier les tours de jardin comme un canard sans tête. Le bel été...

Je me souviens avec amusement que j’avais un ami, Mehdi, qui détestait absolument Maradona. Un peu comme il aurait dû détester Harald Schumacher. Je me souviens que je l’écoutais d’une oreille distraite quand il déblatérait interminablement sur le sujet. De quoi il parle ?, me demandais-je alors, il est complètement fou. Mehdi l'était un peu, c'est vrai, mais du haut de ses onze ans, il haïssait Maradona par téléguidage parce que les médias italiens s'étaient complus pendant quelques mois à orchestrer une sorte de rivalité entre lui et Michel Platini. Et aussi parce que la presse française avait bêtement suivi le mouvement. En apparence, il est vrai, tout opposait les deux meneurs de jeu. Platini était lisse et posé, politique déjà. Maradona était volcanique et imprévisible, rétif à toute forme d'autorité. Platini jouait à la Juventus de Turin, le seul club d'Italie qui parvenait à dépasser les antagonismes régionaux (ce qui est encore vrai aujourd’hui), le club de la famille Agnelli, propriétaire historique de la FIAT. Maradona jouait à Naples-du-sud, le club porte-drapeau de la ville la plus pauvre et détestée du Nord, un club de péquenauds superstitieux qui était fourni en fraiche par la Camorra. Le Yin et le Yang de la botte si vous préférez. Moi, j’avais onze ans, comme Mehdi, la Camorra je ne savais pas ce que c’était et la rivalité nord-sud, je n’en entendais vaguement parler que lorsque ma grand-mère d'origine vénitienne prétendait que tout ce qui se situait en dessous de Rome appartenait aux singes (cela comprenait en bonus la Sardaigne dont était originaire ma mère, que l’on disait phénicienne, avec un soupçon d'ironie mal dissimulé dans la voix).

Nous étions le 22 juin 1986. Revenons à Argentine / Angleterre et oublions ce jeune Mehdi qui ne comprit jamais rien - comme beaucoup d'autres - à la beauté de cette histoire d'ombre et de lumière. Qu'il me faut quand même vous narrer...

L’équipe d’Angleterre de cette année là - il me faut hélas vous en toucher un mot - pour que vous compreniez bien, c’était une équipe composée de 8 tâcherons et de 3 joueurs de foot qui pratiquait le kick and rush sans se poser aucune question. Pour ceux qui découvriraient cette effroyable tactique de jeu (qui n’en est même pas une à proprement parler), cela consistait à ignorer le milieu du terrain, à balancer de son camp de grands ballons aériens droit devant dans l’espoir de les porter le plus vite et le plus simplement possible dans la surface de réparation adverse, en espérant qu’ils tombent sur la tête d’un attaquant (souvent idiot – à force) de sa propre équipe - ou en tablant encore sur une maladresse de la défense adverse. C’était une tactique, comme on s'en doute à l'énoncé, aléatoire, qui hachait le jeu et le rendait proprement abominable à regarder, mais c’était la spécialité stéréotypée en ce temps là des équipes britanniques. L’Ecosse ou les deux équipes d’Irlande jouaient exactement de la même façon. En fait, le jeu de ces dernières nations était même encore pire que celui de l'Angleterre, je ne sais pas comment c'était possible, mais ça l'était pourtant.

L’Argentine, elle, pratiquait bien sûr un jeu plus technique, balle au sol pour commencer, à la sud-américaine, fait de passes courtes, de latences et d'accélérations subites. Quelque chose comme un tango alternant suspensions et crises d'hystéries passionnées. L’Argentine de 1986 n'était sans doute pas une immense équipe, pas la meilleure de la compétition en tout cas ; elle semblait bien moins forte que le Brésil de cette époque là qui venait pourtant de passer à la trappe, mais c'était une équipe complète et puis surtout, elle avait donné les clés de son destin à Maradona, le gamin en or (pibe de oro) dont on se demandait s’il serait jamais capable de briller en phase finale d’une coupe du monde.

En 78, on ne l’avait pas retenu, à dire vrai. Le gamin en feuilles d’or était trop frêle.

En 82, il avait vécu un véritable calvaire. Lors de chaque match, on avait utilisé la même tactique vicieuse pour court-circuiter son influence sur le jeu de l'équipe. On lui avait collé 2 défenseurs écumants chargés de le savater à chaque prise de balle. Pelé avait subi le même sort en 62, les bulgares s'en étaient donné à coeur joie et l'avaient finalement envoyé à l'infirmerie. Le corps arbitral ne protégea pas le meneur de jeu argentin en 82 comme il n'avait pas protégé le numéro 10 brésilien en 62, si bien qu'il ne fut jamais en mesure de démontrer sa valeur. L’aventure mal embouchée se termina sur une note amère. Lors d’Argentine-Brésil le gamin en plomb perdit son sang froid et asséna un coup de pied dans le bide d’un certain Batista, avant de se faire expulser. Meurtri. Humilié. Raillé. Première tâche sur une réputation qui en serait plus tard aussi constellée que la Lune ne l'est de cratères. Fiasco-Rideau pour 82.

L’épreuve de 86, Maradona s’y lança donc la bave aux lèvres et les crocs raclant le carrelage, avec le sentiment de devoir porter l’Argentine sur ses épaules. De devoir gagner l'épreuve majeure pour tout footballeur à lui seul, afin de basculer enfin du coté des légendes du jeu. Le premier match ressembla à un mauvais remake de 82. Maradona se fit démonter les tibias tout le match par des sud-coréens (1) méchants comme des teignes, mais il garda son calme et serra les dents. Maradona n’était désormais plus un gamin. Il était le patron de sa sélection.

Quant à l'or... Si Maradona était d'or, il s'agissait alors d'or brut. De pépites sales, bourbeuses et irrégulières. Pas d'or de salon en lingot pour banquier suisse. L’Argentine était en quart. Maradona dominait la compétition de la tête et des épaules. En lévitation, au sommet de son art comme on dit quand on est Michel Drucker ou Thierry Roland, Maradona venait affronter l'Angleterre, avec l'intention de la battre à lui seul, non, avec le dessein de lui faire mordre la poussière et d'inverser le sens de l'histoire. 4 ans seulement après la Guerre des Malouines (2).





(1) Ce match constitue un funeste record : le record de fautes commises sur un même joueur dans un match de coupe du monde.

(2) Ce conflit qui opposa l'Argentine et l'Angleterre créa pas mal de remous pendant la Coupe du Monde 1982. Maradona ressentit cette défaite comme l’humiliation d’un petit pays face à une grande puissance impérialiste ; ceci, en dépit du bon sens et de la vérité historique, notamment de la réalité sordide du régime argentin de l’époque.






Harald

1 / 4 - Les Pays-Bas et l'Uruguay font parler la poudre

Pays-Bas / Brésil
2 - 1

Robinho, 10'

Felipe Melo, 53' (csc)
Sneijder, 68'

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Uruguay / Ghana 651.gif
1 - 1
(4 tirs aux buts à 2)

651.gif Muntari, 45 + 2'

Forlan, 55'


S'il fallait expliquer à quelqu'un ce qu'est le foot, non pas en tant que jeu, mais dans l'esprit, il faudrait lui montrer les deux matchs d'hier. Deux matchs qui sont davantage remarquables à cause de leur intensité que de la qualité de jeu.

J'avais raison de dire que cette équipe là du Brésil là était peut-être la moins forte depuis celle de 1990 qui s'était fait éliminer du mondial en huitième de finale. Une dramaturgie terrible a eu raison d'elle. Ultra-dominatrice pendant la première mi-temps, la Seleção s'est auto-détruite pendant la seconde. Felipe Melo a marqué un but contre son camp et s'est même payé le luxe de se faire expulser. C'est beaucoup pour un seul brésilien (qui a déjà failli se faire étriper par les supporters du club qui l'emploie (La Juventus Turin)). Dunga, le sélectionneur aux options défensives, prendra sans doute le reste de la volée de bois vert (et or).

Le Ghana, lui, portait les espoirs de tout un continent, ce qui est plutôt rare dans le football. Gyan, l'attaquant ghanéen, qui a marqué l'épreuve de son talent a porté ses espoirs jusque dans les derniers instants, lorsqu'il a pris la responsabilité de tirer le penalty décisif pour son équipe à la toute dernière minute des prolongations. Tout le monde y crut. Un continent tout entier retint son souffle. Son tir échoua hélas sur la barre transversale.

Pendant la séance de tir aux buts qui s'est ensuivi, Gyan a quand même accepté de tirer un penalty, ce qui dénote, tout de même, chers gens de passage, un taux de testostérone bien au-dessus de la moyenne. Et aussi quelque chose qui tient de l'instinct de conservation.

Cela n'aura pas suffi. Hier, deux cataclysmes ont secoué la compétition. Le Grand Brésil et le dernier représentant d'Afrique se sont faits sortir. Ils vont faire leurs bagages. Les Pays-Bas et l'Uruguay, quant à eux, se rencontreront en demi-finale.









Harald

vendredi 2 juillet 2010

Paroles de footballeurs


"J'aimerais baptiser ma fille, mais je ne sais pas encore dans quelle religion".
David Beckham

Certes, c'est facile de se moquer des footballeurs. Ce qu'on demande à ces grands costauds ou ces petits râblés qui crachent beaucoup dans la pelouse, l'air farouche, c'est avant tout de bien jouer au ballon. C'est un peu comme les intellectuels et les manuels, finalement : les footballeurs sont des manuels, mais des pieds.

"A vaincre sans péril on gagne quand même"
Michel Hidalgo (1984)

A la fin d'un match, après quatre-vingt dix minutes à courir comme un dératé, on présente parfois un micro au footballeur. Celui-ci, essoufflé, hébété, en sueur, la langue pendante et le regard fuyant est embarrassé. Il semble aussi spirituel qu'un âne sous le ciel de Calabre. Il a sans doute choisi ce sport parce qu'il était content de s'oublier avec une balle, et de ne pas à avoir à faire de longs discours compliqués, ou réciter des fables, ou de s'embêter avec le pourquoi du comment, un crâne dans la main.

Mais il se voit tout de même prié de s'auto-commenter, de trouver une morale au match terminé, un fin mot de l'histoire. Il doit expliquer l'évidence qui vient de se jouer, aux yeux de tous, chipoter sur le score qui vient de se sceller. La victoire c'est bien, mais la défaite c'est triste, on aurait pu mieux faire si on avait fait mieux, si on avait plus gagné on aurait moins perdu. Ou bien, sur un plateau télé, le joueur se retrouve endimanché parmi des journalistes qui ont fait sciences-po et qui, pour ne pas faire de vague, posent des questions lénifiantes. Le footballeur, alors, semble tomber du ciel, s'accroche aux codes du genre comme on s'accroche aux branches, et recyclent les standards médiatiques avec des réponses de travers.




"Oui, mais il ne faut pas s'enflammer, on a gagné qu'un match,
faut pas brûler la peau de l'ours avant de l'avoir vendu"

Abdeslam Ouaddou

Quand les footballeurs parlent dans les médias, ils font un peu tâche. Ils font des fautes. Des maladresses, des "malgré que", des "les chevals". C'est un peu comme les syndicalistes, comme Krazucki en son temps. Les gens s'en gaussent. Ces sportifs qui parlent de travers, entre deux usagers pris en otage par les grèves, ne semblent pas à leur place, peu importe qu'ils parlent comme ceux qui les écoutent. Le monde du spectacle, manufacture de discours huilé, a un rapport ambigu avec la parole du footballeur. Les gens du spectacle ont leur mesure, leur code, le même débit calibré, les mêmes intonations, le même regard légèrement mouvant à lire le prompteur. Ils emploient des expressions figées, fausse langue vivante, pittoresque passe-partout et normée qui distille cette étrange ambiance de carte-postale du réel. Face à cela, le footballeur, quand il s'exprime, peut faire plouc sous les étoiles, éminemment seul comme un caniche dans un cirque. On dirait Maradona en costume trois pièces, entre le mafieux et le romanichel de mariage.

Un journaliste à Francesco Totti : "Alors Francesco, à partir d'aujourd'hui c'est Carpe Diem ?"
Réponse : "Excusez-moi, je ne parle pas anglais"

L'attitude est ambiguë parce que le footballeur parle comme un syndicaliste, mais c'est une star, et à ce titre il a toujours quelque chose de pertinent ou d'important à dire. On l'écoute. A l'instar de Loanna, Stéphanie de Monaco ou Bob le grand frère jardinier de la nouvelle gloire, leurs états d'âme et leurs sentiments forment les péplums des temps modernes. Les journalistes, l'air totalement dévoué, doivent un peu se moquer par derrière des fautes de français, du manque d'imagination des acteurs principaux, alors qu'eux ont fait science-po et qu'ils savent bien manier les synonymes de pays pour éviter les répétitions : Outre-Quiévrain, Outre-Manche, Outre-Rhin.

Du coup, la plupart des jeunes professionnels, face au mutisme panique qui les attend, prennent dès leur centre de formation des cours de média, ils apprennent à parler la langue morte eux aussi, à aligner, rincés par une heure et demi de courses, quelques expressions figées sans conséquence. Ils apprennent à limiter les dégâts : prendre les matchs les uns après les autres, dans le foot tout est possible, il n'y a pas de petite équipe, l'essentiel c'est le collectif, le groupe est soudé, etc. Et quand le groupe explose, quand il y a des grosses équipes, quand tout n'est pas possible dans le football, avec leurs outils dérisoires de communications, ils ont l'air de publicités pour la SPA, chiots abandonnés sur la route des vacances.

"Je ne peux pas dire beaucoup de choses sur le pays
où je vais aller jouer car je suis en négociation.
Mais cela sera sûrement une équipe brésilienne"
Murcy Rojas


Le footballeur est pris pour un idiot. Et pourtant, on attend de lui, du fabliau hasardeux qu'il rédige avec ses pieds, tout, sauf de l'anecdotique : pendant qu'il court comme un dératé, la langue pendante, essoufflé, hébété, il est en demeure d'incarner illico l'image du pays, l'union sacrée de la Nation, la cohésion sociale, l'Honneur et la Vertu. Est-ce de sa faute à lui, au joueur, si le journaliste, qui a fait science-po, écoute religieusement ses approximations embêtées ? Est-ce de sa faute si on prend pour argent comptant ses idées flous et sa philosophie naïve de bachelier ? Est-ce de sa faute si on lui confie les clefs du destin national, parce que plus rien ne fait vibrer, et qu'il n'y a que le clown ou le jongleur de service pour porter le costume du conquérant ?

"j'ai eu beaucoup de mal à m'adapter à l'Italie, c'était comme vivre à l'étranger"
John Toshack

Mais les footballeurs ne sont pas tous égaux dans l'expression. Certains s'en tirent remarquablement bien : c'est un plaisir d'écouter un Christophe Dugarry, ou un Eric Di Mecco parler de leur sport, il y a quelque chose de pétillant dans leur discours, ils sont intelligents. On dirait un peu ces artisans qui vous décrivent leur art avec une obsession gourmande et maniaque, et tout d'un coup, rempailler des chaises ou tailler la vigne parait la chose la plus intéressante au monde. Ils parlent du timide et de la grande gueule, du prétentieux qui se croit arrivé ou du buteur dont le doute abyssal n'a rien de cartésien, de la mélancolie de perdre sa place de titulaire, d'être écarté du groupe, de s'entrainer tout seul, ou d'être un vieux même jeune, de la retraite à trente-cinq ans, de la formidable envie de dégueuler avant un match à cause du trac, d'être et d'avoir été, et l'espoir toujours vivace d'être à nouveau, encore.

Pat

la victoire en chantant # 5 Les black stars


A 20 heures, ce soir, le Ghana affrontera l'Uruguay pour une place en demi-finale. Si les Black Stars l'emportent (ce que j'espère, question d'affinités musicales), ils seront les premiers africains à parvenir à ce niveau. Les derniers à avoir frolé l'exploit, ce sont les camerounais de Roger Milla (vous vous rappelez, le mec qui dansait après chaque but au poteau de corner et qui aujourd'hui fait une pub pour Coca-Loca ? (vous avez vu comment je viens de feinter, là ?)) qui, en 1990, ont buté sur l'Angleterre autant que sur un arbitrage défaillant.


On espére que les sifllets seront plus justes ce soir. On est en Afrique, ça devrait aider. [Bon, en même temps, je ne suis pas bien sûr de suivre la rencontre, parce que je subodore que ça va être chiant comme la mort ; et puis, il fait si chaud]




Harald

jeudi 1 juillet 2010

La victoire en chantant # 4 L'Albiceleste vs la Mannschaft


Très bien, comme Pat a disparu de la circulation - il fait des travaux d'ampleur pharaonique, plante des clous dans des vitres - et que je me sens un peu seul, je continue ma série. Vaille que vaille.

En quart de finale, samedi, l'Argentine affrontera l'Allemagne dans un contexte tendue ; ces deux pays ont en effet quelques contentieux. En 1986, c'est l'Argentine qui l'emporta en finale sur l'Allemagne, 3 buts à 2. En 1990, il y eut une revanche et elle tourna à l'avantage de l'Allemagne sur un penalty très contestable. Maradona se fit couper en deux tout le match et ce fut un argentin qu'on expulsa. Pour finir, la cérémonie de remise du trophée se déroula dans un climat détestable, les spectateurs sifflant le meneur de jeu argentin en larmes (la coupe du monde de cette année là se déroulait en Italie et l'Argentine de Maradona avait précisément éliminé l'équipe transalpine au tour précédent).

Lors de la dernière édition, enfin, l'Allemagne et l'Argentine s'affrontèrent en quart de finale. L'Allemagne l'emporta aux tirs aux buts dans une atmosphère encore délétère, les joueurs manquèrent d'en venir aux mains. A l'écoute de leurs productions musicales maison, on est en droit de se demander s'il n'y a pas lien de cause à effet.

Pour l'Allemagne


Pour l'Argentine

La victoire en chantant # 3 - La Céleste



La sélection uruguayenne est qualifiée pour les quarts de finale de la coupe du monde. Cela faisait longtemps qu’elle ne s'était hissée à pareil niveau. Elle rencontrera le Ghana avec l’espoir d’aller encore plus haut et d’affronter le Brésil en demi-finale, ce qui constituerait une troublante réminiscence du passé.

Il y a en effet une histoire entre ces deux sélections, une histoire terrible, funeste, qui a brisé le destin d’un homme et remonte à la Coupe du Monde 1950 (1). Le 16 juillet de cette année là, le match qui allait déterminer le vainqueur de la compétition opposait la Céleste au Brésil, pays organisateur. Le Maracaña (2) de Rio de Janeiro était comble : 174 000 spectateurs assistaient à la grand messe. Le Brésil, archi-favori n’avait besoin que d’un match nul pour obtenir le droit de brandir le trophée.

Pourtant, contre toute attente, la sélection auriverde perdit ce match dans ses tous derniers instants, sur un but de l’uruguayen Ghiggia, qui trompa le portier brésilien de l’époque, Moacyr Barbosa d’un tir rasant. Cette défaite fut vécue comme un traumatisme national et la vie de Barbosa fut brisée à jamais.

Barbosa ne quitta pas sa petite commune de Campinas dans un premier temps. Bon gré mal gré, il continua d’y affronter le regard noir et distant de ses compatriotes. Un soir de 1963, il organisa une soirée et invita quelques voisins. Ensemble, ils trinquèrent, chantèrent de vieilles chansons, allumèrent un feu de joie avec les trois montants de l’en-but maudit du Maracaña de 1950. Cette tentative d’exorcisme fut hélas un échec.

Une dizaine d’années plus tard, faisant ses courses, Barbosa croisa une mère et son fils. La mère pointa son index dans sa direction, tandis qu’il flânait dans les allées du marché. Il l’entendit dire à l’enfant : « tu vois cet homme ? Il a plongé le Brésil en entier dans la tristesse ».

En 1993, soit plus de 40 ans après ce maudit après-midi, alors que la télévision brésilienne le conviait à la préparation de la Seleção pour la Coupe du Monde qui devait se dérouler l’année suivante aux Etats-Unis, un officiel de la Fédération vit rouge, lui barra le chemin et exigea qu’on renvoie le porte-poisse manu militari du camp d’entrainement. Moacyr Barbosa resta toute sa vie ce chat noir que personne ne voulait voir ou toucher. Que tous haïssaient.

Peut-être revoyait-il chaque nuit la dernière scène de sa véritable existence, qui lui avait glissé inexorablement entre les mains. Cette mauviette efflanquée de Ghiggia détalait à droite, comme un fou, poussant le ballon sans conscience, sans doute à moitié déshydratée sous cette chaleur de plomb. Il se revoyait anticiper le centre tandis que le joueur uruguayen adressait une frappe rasante au plus près du poteau et inscrivait le but de la victoire. Les joueurs de la Céleste, éreintés, ahanant, triomphaient alors sur la pelouse au milieu d’un peuple en larmes. Il entendait à nouveau ce silence de mort qui régnait dans toute l’enceinte, à vous glacer d’effroi ; la fête devenir un enterrement. Le corps droit, allongé, Barbosa restait le nez planté dans le gazon, prostré, ne pouvant y croire, puis il s’obligeait à contempler l’étendue du désastre. Le sien, à lui seul. Il relevait son visage et apercevait le ballon mort au fond de ses propres filets. Comme une parabole pour illustrer son destin pathétique.

Moacyr Barbosa est décédé le 8 juillet 2000 à Santos. Cette chanson du chanteur uruguayen Alfredo Zitarossa, intitulée Doña Soledad lui est en partie dédiée.







(1) La Coupe du Monde 1950 fut la seule à ne pas se terminer par une finale. Un mini-championnat était prévu pour désigner le vainqueur de cette édition. Celui-ci fut donc remporté par l’Uruguay.

(2) A l’origine, le Maracaña, qui est le stade de football le plus légendaire de tous (parce qu’il est connu de tous les fondus de football) s’appelait sobrement Estadio Municipal. Difficile de se faire une légende avec un nom pareil. Il tire ce deuxième nom du quartier au sein duquel il fut construit. La légende de ce stade commença ce 16 juillet 1950.


Harald