Un des aspects qui rend le football si magnétique est la monstrueuse incertitude qui y règne. Ce n’est pas une de ces incertitudes classiques de jeu - qui gagne, qui perd, quel score, le record personnel contre l’adversité de soi-même - non, c’est une incertitude qui dépasse quelques bornes. Une incertitude qui déborde carrément, qui fuit, qui embarrasse même ses acteurs et ses instances, tous ceux qui produisent cette créature qui leur échappe, qui se retourne contre eux.
Ce suspens, à la limite du chaos, est un des éléments qui contribuent à la popularité, voire à l’hystérie que le football suscite. Je ne connais pas vraiment d’autres sports où, par exemple, quand deux adversaires de niveaux très différents s’opposent, l’issu du match est si peu sûre. Aujourd’hui, si Rafael Nadal affronte un obscur tennisman français maigre, cinquante fois sur dix, l’espagnol laminera son adversaire. Une équipe du Top 14 de rugby faite de mecs épais va forcément évincer un adversaire de division inférieure. Un déterminisme règne peu ou prou dans la plupart des sports, cohérent, logique, flegmatique.
A l’opposée, dans le football, sport de Divas, la hiérarchie est souvent bousculée, c’est le feuilleton quotidien et carnavalesque de ce divertissement. Les exemples de l’inattendu, des résultats qui font stupeur sont fréquents. Un club amateur va éjecter une équipe de professionnels : Quevilly lors de la dernière Coupe de France. Alcorcon, club de 3ème division espagnole, sort le rutilant Real Madrid. Une machine apparemment huilée et loin devant au classement comme Bordeaux va s’écrabouiller en fin de championnat, sans qu’on puisse retrouver la moindre boite noire. L’échec est parfois si absurde qu’une sorte de fatalité, de destin, façon bon vouloir de fileuses de quenouille, semble gouverner le jeu, accentuant encore l’idée de tragédie antique, ou celle du conte, avec ses « petits poucets » si chéris du public capricieux, Telenovela où papillonnent princesses insolites et rois blessés.
Une sorte d’imprévu moqueur semble donc s’être glissé pour de bon dedans, insistant sur l’idée captivante d’un "tout est possible", source autant d’espoir que de crainte. L’intérêt que cela suscite fébrilement conduit au sentiment d’être floué en permanence, et parfois, rarement, comblé. Fort de ce succès, tout l’institutionnel et le sérieux possible vont y plonger : investisseur, industriels, entrepreneurs, batisseurs, boursiers, medias, l'ensemble enflant dramatiquement les enjeux, et forcement, les déroutes qui s’ensuivent, dans la réalité bêtement imprévisible.
On pourra tempérer en disant que ce phénomène concerne avant tout les coupes, les compétitions à élimination directe, où un couperet tombe à la fin : continue ou dégage. Sur un championnat, au bout de 38 matchs, les notions de hasard, de miracle et d’exploit ont tendance à s’estomper. Mais dans les coupes, comme du Monde par exemple, comme demain (!), ce carnaval se remet en marche pour la vaste audience, avec ses rois humiliés, ses valets triomphants, et la foule autour qui rigole.
Cette incertitude nous aura offert de multiples scénarii : en 2002, l’équipe de France insolemment favorite, choyée, adulée, sur laquelle ont misé comme des malades sponsors, supermarchés et politiques, va s’accidenter industriellement, stoppant ainsi son règne de deux ans grotesquement, passant du statut de dieux à celui de bons à rien trop friqués. En 2006, au contraire, l’équipe de France sort de nulle part, on la dit finie, carbonisée, ringarde, has been, pataude, lente ; les poules se révèlent être des matchs poussifs, laborieux, et les vieux, condamnés par avance vont tout de même aller jusqu’à la finale, retrouvant une seconde jeunesse, phénix de leur belle génération finissante.
Dans quel contexte sommes-nous à présent ? Je pense que l’on va éventuellement se prendre une bonne taule, une bonne réduction de tête, dispersé dans l’été de l’hiver austral façon puzzle, mais rien ne me dit que ces bleus, dont on énumère les dépenses colossales (en temps de crise !), pour mieux préparer le jeu de massacre, qu’on peint comme des couillons gâtés, et bien rien ne dit qu’ils ne vont pas inventer quelque chose, et de leur palace sud africain, faire mentir les sarcastiques, les sceptiques, les salauds de pauvres, les gens sans baladeurs, les journaleux, pour mettre à bas superbement comme la tête géante d'un mardi gras un souverain arrogant et imployable : nous, plutôt qu’eux.
Pat
14 commentaires:
Alléluia !
C'est la mode du commentaire religioso-footballistique, vois le premier commentaire chez Une/Deux !
Je viens de laisser un commentaire quelque part, des fois je m'ébloui moi même par ma connerie : (en reformulé) : "Mozart et Ribery ont chacun leur Reine de le Nuit". Ce serait un bon sujet de lolage.
Amen.
Qu'est-ce que le foot rend bête... aussi pire que la religion, tiens. (mais jusqu'où iront-ils ?)
reine de LE nuit, en plus. Ha ha ha.
Vous êtes méchante !! Hooligane ! Skinheade !
"méchantE !! HooliganE ! SkinheadE !" plutôt.
Pfft... adorateurs de millionnaires en short !
(passant qui passe ici, laisse ton intelligence.)
(au vestiaire ?)
Ce que vous dites de la revanche du petit club, c'est un peu la change laissée au taureau dans la corrida. On admire la bravoure des petits, qui font figure de purs. La beauté de l'amateurisme. Et puis, s'il y a un talent qui se détache du groupe chez ces petits, il sera aussitôt acheté.
Quand un enfant fait du foot, s'il veut changer de club, il lui faut la permission du club où il jouait. Si le club ne veut pas le laisser partir gratuitement, un autre ne peut pas l'accueillir.
Mais vous avez raison, et d'ailleurs je l'ai dit : ce n'est jamais "confortable" d'aimer le foot, on pourra toujours vous pointer les injustices, etc. Mieux vaut aimer Mozart, c'est sans risque, tout le monde aime bien, y'a pas des anti-Mozart effrénés qui crient "vive Lully, à mort Mozart !!!"
Le coup du "petit poucet", c'est aussi l'esprit français de contradiction qui va, dans une grande démagogie, aimer le petit face au gros, par réflexe, quitte à tailler le "petit" s'il grossit après...
Oh, quand même, je ne sais pas si c'est nécessairement de la démagogie que d'aimer le petit plutôt que le gros. Parfois, ce que nous aimons là dedans n'est pas tant le délice de voir la grosse légume se vautrer pesamment que d'assister à une forme de déréglement. Une rupture dans l'ordre des choses.
C'est presque transgressif en fait.
En tout cas, les vainqueurs de la coupe du monde ne sont jamais vraiment des surprises. Il y a eu l'Uruguay contre le Brésil au Brésil et ce fut un drame national. L'Allemagne contre la glorieuse Hongrie de Puskas. Et l'Allemagne - mais c'est une semi surprise - contre les Pays Bas en 74.
Ce sont toujours des gros qui l'emportent à la fin. En coupe du monde, les équipes qui s'affrontent n'ont pas comme les clubs le temps de souder leur collectif. A ce titre, les individualités en coupe du monde sont donc plus importantes et font bien souvent davantage pencher la balance.
C'est pour cela qu'il est quasi impossible qu'une petite nation de football remporte un jour cette compétition. Si l'Espagne l'emporte, ce serait déjà un vainqueur inédit, c'est dire si le club est fermé. Mais ça changerait, même si 5 étoiles sur le maillot de la squadra me plairait bien - nous garderions la coupe comme antan le Brésil et le trophée Jules Rimet...
Oui tu as raison pour le petit poucet, je suis allé un peu vite, je dis plutôt que de manière "globale", quand tu écoutes les footix et les gros médias, tu as un enchantement systématique sur les petits, les footballeurs qui posent avec leur bébé devant le bureau de poste où ils travaillent. C'est un peu télé-réalité.
Mais malgré tout, c'est sur, j'aime bien ces petits poucets, comme j'aime bien ces histoires qui sortent du cadre, du style Savidan qui était éboueur pour gagner sa vie.
"Une rupture dans l'ordre des choses.", oui d'ailleurs, c'est un peu le sujet du billet ! En fait, j'aimerais bien que les bleus soient le petit poucet ! :)
Ben, y a Valbuena déjà...faut commencer quelque part...
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