Je réfléchissais ce matin à comment débuter une note sur l'élimination des bleus, mardi. On se sent poussé par une sorte de mouvement de foule, une exaspération collective. L'exaspération que l'on éprouve, pour la partager avec l'autre exaspéré, il faut la gonfler, l'enfler outrageusement, pour qu'elle soit audible. Comme dans tous les mouvements de foule, on est tenté d'aller dans le même sens, ou de vouloir couper le bras quand l'un veut couper la main, ou, mu par l'esprit de contradiction, on se met à objecter, à tempérer. C'est un bruit général, une négociation infernale sur la place publique, des vuvuzelas d'opinions, d'indignations, d'interprétations.
Au lieu de la foire au lynchage, le plus juste serait de dire pendant cinq minutes la tristesse basique, bête et morose, morveuse, comme celle contenue dans les propos échangés avec mon collègue Harald : on est déçu, quand même, on aurait bien aimé. Et basta. Nous ne sommes ni des experts, ni candidats à la médaille « on vous l'avais bien dit ». On aurait bien vu ces joueurs gagner, même pas aimables, même jouant avec un casque sur les oreilles, même les coudes posés sur la table en mangeant des playstations, même avec Raymond Monsieur Soleil, professeur tournesol des systèmes qui ne marchent pas. Le scénario de ces branquignols triomphants de quelque chose m'aurait bien convenu.
On était triste, en pensant simplement à des joueurs comme Djibril Cissé, outrageusement motivé, à la limite du comique de motivation, avide de rattraper ce temps perdu en 2006 à cause d'une jambe brisée, et constatant alors son équipe se déliter, façon les enfants dans Sa Majesté des mouches. C'est peut-être de jouer dans le championnat anglais qui leur a donné la fibre shakespearienne, qu'ils sont tous devenus fous, à chercher des traitres partout, des taupes sous la pelouse, Ribery en Gloucester, capitaine Evra en Hamlet, le regard halluciné, Bachelot en Ophélie, diaphane dans le Xanadu inaccessible de l'hiver austral.
La tristesse est consommée, à présent, d'autres histoires s'amorcent : des huitièmes de finale Angleterre / Allemagne par exemple. Mais avant de clore ce chapitre, je réfléchis aux poids de ces Bleus dans notre place publique. Chacun y va de son interprétation, et je constate, surpris, combien ceci semble agir en révélateur. Je suis surpris car, au début de la compétition, je remarquai un partage classique entre les enthousiastes et les indifférents, face aux réjouissances du stade imposées, et je vois qu'à présent les déboires rocambolesques de cette équipe captivent, fascinent, légitimement tout le monde.
Le football de "coupe du monde" agit comme une métaphore : il opère un raccourci, tout comme une image dans un texte vous permet d'aller plus rapidement à l'idée, mieux qu'une lourde description, une longue argumentation, ceci agit comme un transport véloce qui vous saisit par son efficacité, semblant arriver au propos bien avant vous. Mais comme tous raccourcis, c'est à double tranchant. C'est percutant, mais forcement partiel, incomplet, caricatural d'où toutes ces fulgrances plus ou moins heureuses, celles des politiques, des philosophes de tout poil, des bavards dont nous sommes qui font des Bleus le symbole de tout. D'où ces récuparations diverses et variées : d'un côté on pointera le naufrage du « vivre ensemble », de l'autre la corruption de l'argent roi. J'y reviendrai sans doute les jours suivants.
Le football de "coupe du monde" agit comme une métaphore : il opère un raccourci, tout comme une image dans un texte vous permet d'aller plus rapidement à l'idée, mieux qu'une lourde description, une longue argumentation, ceci agit comme un transport véloce qui vous saisit par son efficacité, semblant arriver au propos bien avant vous. Mais comme tous raccourcis, c'est à double tranchant. C'est percutant, mais forcement partiel, incomplet, caricatural d'où toutes ces fulgrances plus ou moins heureuses, celles des politiques, des philosophes de tout poil, des bavards dont nous sommes qui font des Bleus le symbole de tout. D'où ces récuparations diverses et variées : d'un côté on pointera le naufrage du « vivre ensemble », de l'autre la corruption de l'argent roi. J'y reviendrai sans doute les jours suivants.
Que l'équipe de France soit utilisée compulsivement à toute les sauces me semble légitime, malgré tout, même si c'est parfois sacrément incongru : comment dire le contraire alors que je crois à la faculté incroyable de ce football de générer du récit à profusion, du drame, de la comédie, du feuilleton, toutes ces choses qui vont bien au delà du simple sport ? Aujourd'hui, au delà de l'interprétation sociologique, je suis surtout hébété de voir la tournure bizarre de ce conte. Les crapauds ne se sont pas changés en princes. C'est Cendrillon qui est allée dans les toilettes du jardin, et qui a vu le plancher s'effondrer sous ses pieds, pour s'engloutir dans la fosse septique, et je me retrouve tout penaud avec mon imagerie, mon livre d'enluminures devenu bizarre sur les genoux. Le livre d'histoire, pour les bleus, est terminé, je m'en vais le ranger discrètement sur l'étagère en attendant la prochaine compétition.
Pat
23 commentaires:
Très marrant "le comique de motivation" :)
Ce matin, j'ai lu dans l'équipe qu'on avait taillé l'Equipe de France lors de la coupe du monde 54. On leur reprochait leur arrogance, leur je m'en foutisme, des tensions entre eux, et bien sûr, on tapait plus volontiers sur Kopa, le polonais, que sur le Roger Marche de souche.
Déjà, l'équipe était un mélange d'origines, de destins, déjà, la question du vivre ensemble faisait débat.
Cette lecture est très instructive. En fait, ce que l'on croit être l'expression du bon sens ou de la démocratie sans frein n'est jamais qu'un effet de toupie. Un quart de la population tourne en rond, les 3/4 restants s'en foutent totalement.
Bien dit. Cela dit, là il ne s'agissait même plus de gagner, ou de perdre. C'est comme s'ils étaient "devenus", en quelque sorte, comme s'ils étaient sortis d'un shéma d'êtres interchangeables qui ne font qu'échanger des passes sur un terrain, à un autre plan, entrainant tout le monde dans leur dinguerie commune, ou individuelle, n'étant plus du tout les "professionnels d'un truc", mais se transfigurant en autre chose, sombres, tristes, rigolards parfois,puis pétant une durite, se groupant, se séparant, s'engueulant, complotant.
Tous les éléments d'un conte, ou d'un récit, où mieux, d'un drâme, qu'ils nous ont donné, sans s'en rendre compte.
Peut-être augurent-ils une nouvelle façon de participer à la coupe du monde, dans une sorte de démesure grangignolesque grossie mille fois par la loupe de médias n'en croyant pas leurs yeux de l'or en barre, en photos et en mots qu'on leur fourre dans la bouche.
Et qu'ils fourreront à leur tour dans nos têtes.
Le bunker s'est fissuré, laissant échapper une vision incroyable : La réalité de la vie de 23 types mis sous pression, à nous à qui on assène que la pression, chaque jour, il n'y a pas mieux pour l'homme ( compétitivité, rentabilité, chiffre d'affaire... ), laissant ressortir ( apparemment ) les pires comportements, allant de la domination, à la soumission à l'ordre le plus complet, où au j'en foutisme le plus désastreux ( ah non, merde, le j'en foutisme,ça ne peut tout de même pas être désastreux, je crois que c'est ce que je préfère.
Je sais pas trop. Il fait trop chaud. Je dois partir en couilles moi aussi. Adieu
@ mike hammer papatam andropov : tu es viré. Sans indemnités. Tu es prié de laisser les clés du jet privé à l'accueil. On ne dit pas "partir en couilles" mais "revenir d'Afrique du Sud".
C'est vrai, j'avais oublié, j'implore humblement le pardon de la france entière, et accessoirement, des tenanciers et lecteurs de ce blog pour cet effroyable glissement verbal.
Pas eu le temps de toucher mes gigantesques émoluements, que, pour me faire pardonner ( décidément ça devient une habitude), je me refuse donc à encaisser( mais avec un certain désappointement je vous l'avoue).
Par contre le jet privé, pas possible.
Déjà installé huit putes et sidney Govou au bar.
On ne peut pas empêcher les gens de travailler.
mtislav
Un virus planqué dans le lien "avec nos gueules" sur ton blog a failli dézinguer les ailes de mon jet.
Heureusement, robert duverne a repris le contrôle de l'appareil et désormais nous traçons droit vers le soleil, à l'horizon.
"on pointera le naufrage du « vivre ensemble »".
Pourquoi le pointer ? Pour faire plaisir à Didier ? L'expression "vivre ensemble" fait clairement référence aux origines raciales des braves gens... Sont-elles en cause, ici ? Faut-il dire maintenant qu'il faut arrêter de prôner le vivre-ensemble ?
Pour ma part, je suis très bien, au comptoir, avec Mohamed et Tonnégrande.
Je crois que tu n'as pas compris ce que j'ai écrit, Nicolas. "d'un côté on pointera le naufrage du « vivre ensemble », de l'autre la corruption de l'argent roi"
D'un côté, de l'autre. J'explique objectivement les interprétations que j'ai pu lire, à droite et à gauche, et que je ne partage pas, pour ma part.
Désolé !
Je...
Non...
...Maudit soit Toto Cutugno !
T'as vu ? Italie - Slovaquie. Incroyable.
comme c'est bien dit ! et on sent derrière tes mots l'émotion sincère que tu as vécue.
Dorhald a raison de rappeler que l'équipe de France a de tous temps eu ses "immigrés", j'ai lu aussi quelque part (mais où ?) un très bon article sur ce sujet.
Maintenant, il faudrait, à mon sens, être bien vigilants face à la récup' qui est en train de se faire au sommet de l'Etat... Les joueurs ont tout intérêt à ne pas se laisser traiter de "racaille" ("ah, [M. Finkielkraut] vous osez déclarer... qu'un air de liberté flottait sur [l'équipe de France] avant que [la racaille n'arrive].", Jean Ferrat, "Un air de liberté"), et de ne pas vouloir qu'on les assimile à de vulgaires "CTPC" (casse-toi-pauvre-con).
Je soutiens l'équipe de France, et les joueurs du Mondial 2010, plus que jamais.
Bal, oui, j'ai vu.
---
Lucia,
les plus grands joueurs de l'histoire du foot français sont à 90 % issus de l'immigration. C'est indéniable et leurs succès qui ont favorisé les intégrations.
Les polonais et les italiens ont à l'évidence profité des exploits des Piantoni et Kopa. Entre autres exemples...
Finkielkraut a tort parce qu'il méconnait l'histoire de ce sport. Parfois, il faut maîtriser son sujet, ce qui n'est pas son cas. Le jeu a une mémoire. Il est le fuit d'une histoire. l'équipe de France aussi. Et une histoire, c'est fait de hauts et de bas.
(bon, là, j'ai un p'tit coup au moral) :)
Pareil. J'avais un plan B, c'était la squadra azzura.
J'avais pas de plan C.
C comme ..., non c'est trop facile.
Duga
Ranplanplan
Harald et Pat, vous n'avez jamais songé à vous intéresser au curling?
Le spécialiste du curling, c'est mtislav !
fosse sceptique ?
Merci Anonyme pour la faute signalée, mais vous pouvez commenter sous votre vrai nom, on va pas vous manger.
Fosse sceptique ?
C'est pour que le commentaire soit enlevé tout de suite après correction de la faute, c'est tout. Et puis parce que ça fait trop prof en blouse grise.
Qui a quelque chose contre les professeurs en blouse grise ?
Il faudrait savoir, on est sur un blog de foot ou quoi ? Pourquoi laisser ces trolls ?
Enregistrer un commentaire