David Beckham
Certes, c'est facile de se moquer des footballeurs. Ce qu'on demande à ces grands costauds ou ces petits râblés qui crachent beaucoup dans la pelouse, l'air farouche, c'est avant tout de bien jouer au ballon. C'est un peu comme les intellectuels et les manuels, finalement : les footballeurs sont des manuels, mais des pieds.
"A vaincre sans péril on gagne quand même"
Michel Hidalgo (1984)
A la fin d'un match, après quatre-vingt dix minutes à courir comme un dératé, on présente parfois un micro au footballeur. Celui-ci, essoufflé, hébété, en sueur, la langue pendante et le regard fuyant est embarrassé. Il semble aussi spirituel qu'un âne sous le ciel de Calabre. Il a sans doute choisi ce sport parce qu'il était content de s'oublier avec une balle, et de ne pas à avoir à faire de longs discours compliqués, ou réciter des fables, ou de s'embêter avec le pourquoi du comment, un crâne dans la main.
Mais il se voit tout de même prié de s'auto-commenter, de trouver une morale au match terminé, un fin mot de l'histoire. Il doit expliquer l'évidence qui vient de se jouer, aux yeux de tous, chipoter sur le score qui vient de se sceller. La victoire c'est bien, mais la défaite c'est triste, on aurait pu mieux faire si on avait fait mieux, si on avait plus gagné on aurait moins perdu. Ou bien, sur un plateau télé, le joueur se retrouve endimanché parmi des journalistes qui ont fait sciences-po et qui, pour ne pas faire de vague, posent des questions lénifiantes. Le footballeur, alors, semble tomber du ciel, s'accroche aux codes du genre comme on s'accroche aux branches, et recyclent les standards médiatiques avec des réponses de travers.
"Oui, mais il ne faut pas s'enflammer, on a gagné qu'un match,
faut pas brûler la peau de l'ours avant de l'avoir vendu"
Abdeslam Ouaddou
Un journaliste à Francesco Totti : "Alors Francesco, à partir d'aujourd'hui c'est Carpe Diem ?"
Réponse : "Excusez-moi, je ne parle pas anglais"
L'attitude est ambiguë parce que le footballeur parle comme un syndicaliste, mais c'est une star, et à ce titre il a toujours quelque chose de pertinent ou d'important à dire. On l'écoute. A l'instar de Loanna, Stéphanie de Monaco ou Bob le grand frère jardinier de la nouvelle gloire, leurs états d'âme et leurs sentiments forment les péplums des temps modernes. Les journalistes, l'air totalement dévoué, doivent un peu se moquer par derrière des fautes de français, du manque d'imagination des acteurs principaux, alors qu'eux ont fait science-po et qu'ils savent bien manier les synonymes de pays pour éviter les répétitions : Outre-Quiévrain, Outre-Manche, Outre-Rhin.
"Je ne peux pas dire beaucoup de choses sur le pays
où je vais aller jouer car je suis en négociation.
Mais cela sera sûrement une équipe brésilienne"
Murcy Rojas
"j'ai eu beaucoup de mal à m'adapter à l'Italie, c'était comme vivre à l'étranger"
John Toshack
Mais les footballeurs ne sont pas tous égaux dans l'expression. Certains s'en tirent remarquablement bien : c'est un plaisir d'écouter un Christophe Dugarry, ou un Eric Di Mecco parler de leur sport, il y a quelque chose de pétillant dans leur discours, ils sont intelligents. On dirait un peu ces artisans qui vous décrivent leur art avec une obsession gourmande et maniaque, et tout d'un coup, rempailler des chaises ou tailler la vigne parait la chose la plus intéressante au monde. Ils parlent du timide et de la grande gueule, du prétentieux qui se croit arrivé ou du buteur dont le doute abyssal n'a rien de cartésien, de la mélancolie de perdre sa place de titulaire, d'être écarté du groupe, de s'entrainer tout seul, ou d'être un vieux même jeune, de la retraite à trente-cinq ans, de la formidable envie de dégueuler avant un match à cause du trac, d'être et d'avoir été, et l'espoir toujours vivace d'être à nouveau, encore.
Pat
6 commentaires:
Superbe photo, bien content de te retrouver Pat,
en fait, tu l'as fait ton 2001,
mais c'était 2010, l'odyssée du footballeur. L'équipe de France a même passé l'hyperespace. On a débranché l'ordinateur de bord.
Excellent, le "à vaincre sans péril"... Je l'adopte illico.
Superbe. Y'a les cyclistes, aussi.
Harald : ça va être mouvementé ces prochains jours, je m'en excuse d'avance....
Suzanne : tiens j'ai commenté chez vous, on s'est vraiment croisé !
Mère Castor : merci, j'ai l'impression que les cyclistes ou les journalistes cyclistes ont une plus grande légitimé, une plus longue culture de la "parole sportive", mais ça se décante un peu.
<mère Castor,
ets-ce que par cycliste, vous entendez Richard Virenque ?
ouais, on peut se moquer de tous, sauf de Cantona... "I'm not a man, I am Cantona" (dans "Looking for Eric"), ou pour de vrai :
"Raymond Domenech est l’entraîneur le plus nul du football français depuis Louis XVI" (2009)
Ca a plus de classe que Ronaldo après la défaite du Portugal :
"Je souffre et j'ai le droit de souffrir seul. Je suis dévasté, complètement dévasté, frustré et je ressens une peine inimaginable. Je sais que je suis capitaine, j'ai toujours assumé et j'assumerai toujours mes responsabilités", un peu trop humain Ronaldo...
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