samedi 3 juillet 2010

L'ombre et la lumière 2/4


22 juin 1986

L’Argentine de Diego Armando Maradona n’était pas encore en finale, elle devait d’abord vaincre l’Angleterre en quart. Et la Belgique, une formalité, en demi. Nous, français, nous remettions donc doucettement du France-Brésil de rêve de la veille. Du penalty manqué de Zico. De celui, libérateur, de Luis Fernandez. La vie était encore belle et j’étais encore insouciant. Les allemands ne m'avaient pas deux fois niqué l'enfance. Il faisait toujours une chaleur de bête, on suait comme des turques obèses dans le hammam de l’enfer et ça ne m’empêchait nullement de multiplier les tours de jardin comme un canard sans tête. Le bel été...

Je me souviens avec amusement que j’avais un ami, Mehdi, qui détestait absolument Maradona. Un peu comme il aurait dû détester Harald Schumacher. Je me souviens que je l’écoutais d’une oreille distraite quand il déblatérait interminablement sur le sujet. De quoi il parle ?, me demandais-je alors, il est complètement fou. Mehdi l'était un peu, c'est vrai, mais du haut de ses onze ans, il haïssait Maradona par téléguidage parce que les médias italiens s'étaient complus pendant quelques mois à orchestrer une sorte de rivalité entre lui et Michel Platini. Et aussi parce que la presse française avait bêtement suivi le mouvement. En apparence, il est vrai, tout opposait les deux meneurs de jeu. Platini était lisse et posé, politique déjà. Maradona était volcanique et imprévisible, rétif à toute forme d'autorité. Platini jouait à la Juventus de Turin, le seul club d'Italie qui parvenait à dépasser les antagonismes régionaux (ce qui est encore vrai aujourd’hui), le club de la famille Agnelli, propriétaire historique de la FIAT. Maradona jouait à Naples-du-sud, le club porte-drapeau de la ville la plus pauvre et détestée du Nord, un club de péquenauds superstitieux qui était fourni en fraiche par la Camorra. Le Yin et le Yang de la botte si vous préférez. Moi, j’avais onze ans, comme Mehdi, la Camorra je ne savais pas ce que c’était et la rivalité nord-sud, je n’en entendais vaguement parler que lorsque ma grand-mère d'origine vénitienne prétendait que tout ce qui se situait en dessous de Rome appartenait aux singes (cela comprenait en bonus la Sardaigne dont était originaire ma mère, que l’on disait phénicienne, avec un soupçon d'ironie mal dissimulé dans la voix).

Nous étions le 22 juin 1986. Revenons à Argentine / Angleterre et oublions ce jeune Mehdi qui ne comprit jamais rien - comme beaucoup d'autres - à la beauté de cette histoire d'ombre et de lumière. Qu'il me faut quand même vous narrer...

L’équipe d’Angleterre de cette année là - il me faut hélas vous en toucher un mot - pour que vous compreniez bien, c’était une équipe composée de 8 tâcherons et de 3 joueurs de foot qui pratiquait le kick and rush sans se poser aucune question. Pour ceux qui découvriraient cette effroyable tactique de jeu (qui n’en est même pas une à proprement parler), cela consistait à ignorer le milieu du terrain, à balancer de son camp de grands ballons aériens droit devant dans l’espoir de les porter le plus vite et le plus simplement possible dans la surface de réparation adverse, en espérant qu’ils tombent sur la tête d’un attaquant (souvent idiot – à force) de sa propre équipe - ou en tablant encore sur une maladresse de la défense adverse. C’était une tactique, comme on s'en doute à l'énoncé, aléatoire, qui hachait le jeu et le rendait proprement abominable à regarder, mais c’était la spécialité stéréotypée en ce temps là des équipes britanniques. L’Ecosse ou les deux équipes d’Irlande jouaient exactement de la même façon. En fait, le jeu de ces dernières nations était même encore pire que celui de l'Angleterre, je ne sais pas comment c'était possible, mais ça l'était pourtant.

L’Argentine, elle, pratiquait bien sûr un jeu plus technique, balle au sol pour commencer, à la sud-américaine, fait de passes courtes, de latences et d'accélérations subites. Quelque chose comme un tango alternant suspensions et crises d'hystéries passionnées. L’Argentine de 1986 n'était sans doute pas une immense équipe, pas la meilleure de la compétition en tout cas ; elle semblait bien moins forte que le Brésil de cette époque là qui venait pourtant de passer à la trappe, mais c'était une équipe complète et puis surtout, elle avait donné les clés de son destin à Maradona, le gamin en or (pibe de oro) dont on se demandait s’il serait jamais capable de briller en phase finale d’une coupe du monde.

En 78, on ne l’avait pas retenu, à dire vrai. Le gamin en feuilles d’or était trop frêle.

En 82, il avait vécu un véritable calvaire. Lors de chaque match, on avait utilisé la même tactique vicieuse pour court-circuiter son influence sur le jeu de l'équipe. On lui avait collé 2 défenseurs écumants chargés de le savater à chaque prise de balle. Pelé avait subi le même sort en 62, les bulgares s'en étaient donné à coeur joie et l'avaient finalement envoyé à l'infirmerie. Le corps arbitral ne protégea pas le meneur de jeu argentin en 82 comme il n'avait pas protégé le numéro 10 brésilien en 62, si bien qu'il ne fut jamais en mesure de démontrer sa valeur. L’aventure mal embouchée se termina sur une note amère. Lors d’Argentine-Brésil le gamin en plomb perdit son sang froid et asséna un coup de pied dans le bide d’un certain Batista, avant de se faire expulser. Meurtri. Humilié. Raillé. Première tâche sur une réputation qui en serait plus tard aussi constellée que la Lune ne l'est de cratères. Fiasco-Rideau pour 82.

L’épreuve de 86, Maradona s’y lança donc la bave aux lèvres et les crocs raclant le carrelage, avec le sentiment de devoir porter l’Argentine sur ses épaules. De devoir gagner l'épreuve majeure pour tout footballeur à lui seul, afin de basculer enfin du coté des légendes du jeu. Le premier match ressembla à un mauvais remake de 82. Maradona se fit démonter les tibias tout le match par des sud-coréens (1) méchants comme des teignes, mais il garda son calme et serra les dents. Maradona n’était désormais plus un gamin. Il était le patron de sa sélection.

Quant à l'or... Si Maradona était d'or, il s'agissait alors d'or brut. De pépites sales, bourbeuses et irrégulières. Pas d'or de salon en lingot pour banquier suisse. L’Argentine était en quart. Maradona dominait la compétition de la tête et des épaules. En lévitation, au sommet de son art comme on dit quand on est Michel Drucker ou Thierry Roland, Maradona venait affronter l'Angleterre, avec l'intention de la battre à lui seul, non, avec le dessein de lui faire mordre la poussière et d'inverser le sens de l'histoire. 4 ans seulement après la Guerre des Malouines (2).





(1) Ce match constitue un funeste record : le record de fautes commises sur un même joueur dans un match de coupe du monde.

(2) Ce conflit qui opposa l'Argentine et l'Angleterre créa pas mal de remous pendant la Coupe du Monde 1982. Maradona ressentit cette défaite comme l’humiliation d’un petit pays face à une grande puissance impérialiste ; ceci, en dépit du bon sens et de la vérité historique, notamment de la réalité sordide du régime argentin de l’époque.






Harald

9 commentaires:

mtislav a dit…

Et qui a gagné ?

Dorham a dit…

En 86 ou pendant la guerre des malouines ?

mtislav a dit…

J'adore la photo.

Pour les Malouines, je me souviens du résultat.

C. Watson a dit…

J'aime beaucoup votre façon d'expliquer le kick & rush :-)

lucia mel a dit…

bon, on peut aller se coucher maintenant...

manutara a dit…

Puisqu'on est en Amérique du Sud, j'ai vécu quelques années dans le Sud du Chili, pays qui n'est certes pas une nation phare dans le domaine footballistique, mais où ce sport est vécu avec passion. Tous les dimanches soir, à neuf heures, était diffusée une émission d'une heure, durant laquelle tous les matchs du jour étaient passés au crible. L'animait un petit septuagénaire rondouillard, à la calvitie striée de quelques rares cheveux qui tentaient désespérément de joindre une extrémité du crâne à l'autre. Ses petits yeux malicieux encadrés par des lunettes aux montures démesurées s'illuminaient d'une lueur étrange quand il prononçait certains mots comme golazo, empataron, derotaron, desastre...Si je ne prêtais qu'une attention distraite aux quelques images des matchs concernés, je ne perdais, en revanche, pas une miette des commentaires de Don...(j'ai oublié son nom), faits dans une langue sublime où passés simples et subjonctifs imparfaits alternaient avec de subtiles allusions à la mythologie grecque ou latine. Je retrouve ce même plaisir en vous lisant, conscient du fait que vous avez parfaitement saisi la dimension presque divine que prend ce sport en Amérique du Sud.

mtislav a dit…

Alors, ça a donné quoi cet Argentine-Allemagne. Je rêve d'un 4-0 qui me ferait pleurer comme un Napolitain...

Dorham a dit…

Mr Watson,

Merci beaucoup.

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Lucia,

Ou...je ne sais pas, prendre son cheval et se barrer dans la Pampa.

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Manutara,

Un très sincère merci. Je ne suis pas un grand voyageur mais l'Amérique du Sud reste un endroit mythique. Toute l'Amérique du sud, de l'Argentine, en passant par le Chili, le Pérou, la Bolivie jusqu'au Brésil.

Le football a en effet une place immense, là-bas. C'est très excessif sans doute, mais pour certains pays, comme le Chili, le Paraguay, l'Uruguay et bien sûr les deux nations phares que sont le Brésil et l'Argentine, le football est également un moyen d'appuyer la définition de son identité.

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Mtislav,

Harald, Mal.

Balmeyer a dit…

Ca ne se dit pas pour au sujet d'un colocataire de blog, mais j'adore ce billet. Quant à la photo, elle est excellente aussi : on voit vraiment Maradona contre le reste du monde, c'est très parlant !