vendredi 2 juillet 2010

Paroles de footballeurs


"J'aimerais baptiser ma fille, mais je ne sais pas encore dans quelle religion".
David Beckham

Certes, c'est facile de se moquer des footballeurs. Ce qu'on demande à ces grands costauds ou ces petits râblés qui crachent beaucoup dans la pelouse, l'air farouche, c'est avant tout de bien jouer au ballon. C'est un peu comme les intellectuels et les manuels, finalement : les footballeurs sont des manuels, mais des pieds.

"A vaincre sans péril on gagne quand même"
Michel Hidalgo (1984)

A la fin d'un match, après quatre-vingt dix minutes à courir comme un dératé, on présente parfois un micro au footballeur. Celui-ci, essoufflé, hébété, en sueur, la langue pendante et le regard fuyant est embarrassé. Il semble aussi spirituel qu'un âne sous le ciel de Calabre. Il a sans doute choisi ce sport parce qu'il était content de s'oublier avec une balle, et de ne pas à avoir à faire de longs discours compliqués, ou réciter des fables, ou de s'embêter avec le pourquoi du comment, un crâne dans la main.

Mais il se voit tout de même prié de s'auto-commenter, de trouver une morale au match terminé, un fin mot de l'histoire. Il doit expliquer l'évidence qui vient de se jouer, aux yeux de tous, chipoter sur le score qui vient de se sceller. La victoire c'est bien, mais la défaite c'est triste, on aurait pu mieux faire si on avait fait mieux, si on avait plus gagné on aurait moins perdu. Ou bien, sur un plateau télé, le joueur se retrouve endimanché parmi des journalistes qui ont fait sciences-po et qui, pour ne pas faire de vague, posent des questions lénifiantes. Le footballeur, alors, semble tomber du ciel, s'accroche aux codes du genre comme on s'accroche aux branches, et recyclent les standards médiatiques avec des réponses de travers.




"Oui, mais il ne faut pas s'enflammer, on a gagné qu'un match,
faut pas brûler la peau de l'ours avant de l'avoir vendu"

Abdeslam Ouaddou

Quand les footballeurs parlent dans les médias, ils font un peu tâche. Ils font des fautes. Des maladresses, des "malgré que", des "les chevals". C'est un peu comme les syndicalistes, comme Krazucki en son temps. Les gens s'en gaussent. Ces sportifs qui parlent de travers, entre deux usagers pris en otage par les grèves, ne semblent pas à leur place, peu importe qu'ils parlent comme ceux qui les écoutent. Le monde du spectacle, manufacture de discours huilé, a un rapport ambigu avec la parole du footballeur. Les gens du spectacle ont leur mesure, leur code, le même débit calibré, les mêmes intonations, le même regard légèrement mouvant à lire le prompteur. Ils emploient des expressions figées, fausse langue vivante, pittoresque passe-partout et normée qui distille cette étrange ambiance de carte-postale du réel. Face à cela, le footballeur, quand il s'exprime, peut faire plouc sous les étoiles, éminemment seul comme un caniche dans un cirque. On dirait Maradona en costume trois pièces, entre le mafieux et le romanichel de mariage.

Un journaliste à Francesco Totti : "Alors Francesco, à partir d'aujourd'hui c'est Carpe Diem ?"
Réponse : "Excusez-moi, je ne parle pas anglais"

L'attitude est ambiguë parce que le footballeur parle comme un syndicaliste, mais c'est une star, et à ce titre il a toujours quelque chose de pertinent ou d'important à dire. On l'écoute. A l'instar de Loanna, Stéphanie de Monaco ou Bob le grand frère jardinier de la nouvelle gloire, leurs états d'âme et leurs sentiments forment les péplums des temps modernes. Les journalistes, l'air totalement dévoué, doivent un peu se moquer par derrière des fautes de français, du manque d'imagination des acteurs principaux, alors qu'eux ont fait science-po et qu'ils savent bien manier les synonymes de pays pour éviter les répétitions : Outre-Quiévrain, Outre-Manche, Outre-Rhin.

Du coup, la plupart des jeunes professionnels, face au mutisme panique qui les attend, prennent dès leur centre de formation des cours de média, ils apprennent à parler la langue morte eux aussi, à aligner, rincés par une heure et demi de courses, quelques expressions figées sans conséquence. Ils apprennent à limiter les dégâts : prendre les matchs les uns après les autres, dans le foot tout est possible, il n'y a pas de petite équipe, l'essentiel c'est le collectif, le groupe est soudé, etc. Et quand le groupe explose, quand il y a des grosses équipes, quand tout n'est pas possible dans le football, avec leurs outils dérisoires de communications, ils ont l'air de publicités pour la SPA, chiots abandonnés sur la route des vacances.

"Je ne peux pas dire beaucoup de choses sur le pays
où je vais aller jouer car je suis en négociation.
Mais cela sera sûrement une équipe brésilienne"
Murcy Rojas


Le footballeur est pris pour un idiot. Et pourtant, on attend de lui, du fabliau hasardeux qu'il rédige avec ses pieds, tout, sauf de l'anecdotique : pendant qu'il court comme un dératé, la langue pendante, essoufflé, hébété, il est en demeure d'incarner illico l'image du pays, l'union sacrée de la Nation, la cohésion sociale, l'Honneur et la Vertu. Est-ce de sa faute à lui, au joueur, si le journaliste, qui a fait science-po, écoute religieusement ses approximations embêtées ? Est-ce de sa faute si on prend pour argent comptant ses idées flous et sa philosophie naïve de bachelier ? Est-ce de sa faute si on lui confie les clefs du destin national, parce que plus rien ne fait vibrer, et qu'il n'y a que le clown ou le jongleur de service pour porter le costume du conquérant ?

"j'ai eu beaucoup de mal à m'adapter à l'Italie, c'était comme vivre à l'étranger"
John Toshack

Mais les footballeurs ne sont pas tous égaux dans l'expression. Certains s'en tirent remarquablement bien : c'est un plaisir d'écouter un Christophe Dugarry, ou un Eric Di Mecco parler de leur sport, il y a quelque chose de pétillant dans leur discours, ils sont intelligents. On dirait un peu ces artisans qui vous décrivent leur art avec une obsession gourmande et maniaque, et tout d'un coup, rempailler des chaises ou tailler la vigne parait la chose la plus intéressante au monde. Ils parlent du timide et de la grande gueule, du prétentieux qui se croit arrivé ou du buteur dont le doute abyssal n'a rien de cartésien, de la mélancolie de perdre sa place de titulaire, d'être écarté du groupe, de s'entrainer tout seul, ou d'être un vieux même jeune, de la retraite à trente-cinq ans, de la formidable envie de dégueuler avant un match à cause du trac, d'être et d'avoir été, et l'espoir toujours vivace d'être à nouveau, encore.

Pat

6 commentaires:

Dorham a dit…

Superbe photo, bien content de te retrouver Pat,
en fait, tu l'as fait ton 2001,
mais c'était 2010, l'odyssée du footballeur. L'équipe de France a même passé l'hyperespace. On a débranché l'ordinateur de bord.

Suzanne a dit…

Excellent, le "à vaincre sans péril"... Je l'adopte illico.

la Mère Castor a dit…

Superbe. Y'a les cyclistes, aussi.

Balmeyer a dit…

Harald : ça va être mouvementé ces prochains jours, je m'en excuse d'avance....

Suzanne : tiens j'ai commenté chez vous, on s'est vraiment croisé !

Mère Castor : merci, j'ai l'impression que les cyclistes ou les journalistes cyclistes ont une plus grande légitimé, une plus longue culture de la "parole sportive", mais ça se décante un peu.

Dorham a dit…

<mère Castor,
ets-ce que par cycliste, vous entendez Richard Virenque ?

lucia mel a dit…

ouais, on peut se moquer de tous, sauf de Cantona... "I'm not a man, I am Cantona" (dans "Looking for Eric"), ou pour de vrai :

"Raymond Domenech est l’entraîneur le plus nul du football français depuis Louis XVI" (2009)

Ca a plus de classe que Ronaldo après la défaite du Portugal :

"Je souffre et j'ai le droit de souffrir seul. Je suis dévasté, complètement dévasté, frustré et je ressens une peine inimaginable. Je sais que je suis capitaine, j'ai toujours assumé et j'assumerai toujours mes responsabilités", un peu trop humain Ronaldo...