jeudi 1 juillet 2010

La victoire en chantant # 3 - La Céleste



La sélection uruguayenne est qualifiée pour les quarts de finale de la coupe du monde. Cela faisait longtemps qu’elle ne s'était hissée à pareil niveau. Elle rencontrera le Ghana avec l’espoir d’aller encore plus haut et d’affronter le Brésil en demi-finale, ce qui constituerait une troublante réminiscence du passé.

Il y a en effet une histoire entre ces deux sélections, une histoire terrible, funeste, qui a brisé le destin d’un homme et remonte à la Coupe du Monde 1950 (1). Le 16 juillet de cette année là, le match qui allait déterminer le vainqueur de la compétition opposait la Céleste au Brésil, pays organisateur. Le Maracaña (2) de Rio de Janeiro était comble : 174 000 spectateurs assistaient à la grand messe. Le Brésil, archi-favori n’avait besoin que d’un match nul pour obtenir le droit de brandir le trophée.

Pourtant, contre toute attente, la sélection auriverde perdit ce match dans ses tous derniers instants, sur un but de l’uruguayen Ghiggia, qui trompa le portier brésilien de l’époque, Moacyr Barbosa d’un tir rasant. Cette défaite fut vécue comme un traumatisme national et la vie de Barbosa fut brisée à jamais.

Barbosa ne quitta pas sa petite commune de Campinas dans un premier temps. Bon gré mal gré, il continua d’y affronter le regard noir et distant de ses compatriotes. Un soir de 1963, il organisa une soirée et invita quelques voisins. Ensemble, ils trinquèrent, chantèrent de vieilles chansons, allumèrent un feu de joie avec les trois montants de l’en-but maudit du Maracaña de 1950. Cette tentative d’exorcisme fut hélas un échec.

Une dizaine d’années plus tard, faisant ses courses, Barbosa croisa une mère et son fils. La mère pointa son index dans sa direction, tandis qu’il flânait dans les allées du marché. Il l’entendit dire à l’enfant : « tu vois cet homme ? Il a plongé le Brésil en entier dans la tristesse ».

En 1993, soit plus de 40 ans après ce maudit après-midi, alors que la télévision brésilienne le conviait à la préparation de la Seleção pour la Coupe du Monde qui devait se dérouler l’année suivante aux Etats-Unis, un officiel de la Fédération vit rouge, lui barra le chemin et exigea qu’on renvoie le porte-poisse manu militari du camp d’entrainement. Moacyr Barbosa resta toute sa vie ce chat noir que personne ne voulait voir ou toucher. Que tous haïssaient.

Peut-être revoyait-il chaque nuit la dernière scène de sa véritable existence, qui lui avait glissé inexorablement entre les mains. Cette mauviette efflanquée de Ghiggia détalait à droite, comme un fou, poussant le ballon sans conscience, sans doute à moitié déshydratée sous cette chaleur de plomb. Il se revoyait anticiper le centre tandis que le joueur uruguayen adressait une frappe rasante au plus près du poteau et inscrivait le but de la victoire. Les joueurs de la Céleste, éreintés, ahanant, triomphaient alors sur la pelouse au milieu d’un peuple en larmes. Il entendait à nouveau ce silence de mort qui régnait dans toute l’enceinte, à vous glacer d’effroi ; la fête devenir un enterrement. Le corps droit, allongé, Barbosa restait le nez planté dans le gazon, prostré, ne pouvant y croire, puis il s’obligeait à contempler l’étendue du désastre. Le sien, à lui seul. Il relevait son visage et apercevait le ballon mort au fond de ses propres filets. Comme une parabole pour illustrer son destin pathétique.

Moacyr Barbosa est décédé le 8 juillet 2000 à Santos. Cette chanson du chanteur uruguayen Alfredo Zitarossa, intitulée Doña Soledad lui est en partie dédiée.







(1) La Coupe du Monde 1950 fut la seule à ne pas se terminer par une finale. Un mini-championnat était prévu pour désigner le vainqueur de cette édition. Celui-ci fut donc remporté par l’Uruguay.

(2) A l’origine, le Maracaña, qui est le stade de football le plus légendaire de tous (parce qu’il est connu de tous les fondus de football) s’appelait sobrement Estadio Municipal. Difficile de se faire une légende avec un nom pareil. Il tire ce deuxième nom du quartier au sein duquel il fut construit. La légende de ce stade commença ce 16 juillet 1950.


Harald

13 commentaires:

Balmeyer a dit…

Faudrait faire une sélection spéciale "joueurs maudits" !

Dorham a dit…

Six en attaque.

Balmeyer a dit…

Cristiano Ronaldo, il a bientôt droit ?

Arconada dans les cages.

Dorham a dit…

Patrice Evra of course !

Zico ! Le seul grand joueur brésilien à avoir raté le titre mondial.

Balmeyer a dit…

Trezeguet ?

Dorham a dit…

Non, Trézeguet est quand même champion du monde, il marque le but décisif en finale en 2000, j'aimerais bien être maudit comme lui.

Dorham a dit…

Bernard Diomède :)

Balmeyer a dit…

Chimbonda ? Guivarc'h ?

Dorham a dit…

Chimbonda, mouhahahaha ! Il nous en aura fait de bonnes Domenech quand même...

mtislav a dit…

Désolé d'interrompre la conférence de rédaction, je glisse un nom en passant, Brian Clough.

Pat, je considère ce billet comme mon droit de réponse au précédent. C'est probablement ta conscience qui te l'a dicté.

Dorham a dit…

Moi, c'est Harald...

Dorham a dit…

Mais, je suis un mec juste, comme tu le vois... Harald Salomon.

balmeyer a dit…

on va sans doute ajouter gyan ?