jeudi 27 mai 2010

Tous ensemble vers un truc bleu



La Coupe du Monde, c’est le triomphe de l’Art Total. Du spectacle, de la musique, et de la poésie (en outre, pour parfaire le concept wagnérien : les allemands gagnent toujours à la fin).

Ainsi, la FIFA a organisé un drôle de concours, genre printemps des poètes de la RATP : les 32 équipes qualifiées vont voir leur autobus décoré d'un slogan, qui est choisi par "un vote public". Ne partez pas.

32 slogans, plutôt 31, car la Corée du Nord a tenu à frapper sa devise en interne, d'où le lapidaire message visible sur l'illustration : "Les propositions et le vote concernant l'équipe de République de Corée seront traités par d'autres moyens."

Le résultat est fascinant, c'est quelque chose entre de l'héraldique pour les gentils, des haïkus écrits par des enfants mormons, du cidre au Doliprane fermenté. A la décharge de la FIFA, admettons que l'exercice est quand même délicat. La formule doit vouloir dire vaguement quelque chose, sans heurter personne non plus. Elle doit avoir du sens, mais pas trop. Ca doit être une sorte d'infra-hymne. Pas question d'écrire "Tous à la Coupe du Monde pour niquer les Italiens". Pas de sangs impurs, pas d'égorgement de filles et de compagnes. Cela se situe entre la formule de publicité qui ne fait pas mal à la tête ("Carrefour, c'est bien"), le cri de ralliement réjoui ("Montjoie Saint-Denis !") et les valeurs du sport que nous partageons tous ("Tous ensemble pour gagner dans un rêve de victoire").

En voici quelques unes :

France

Le cahier des charges est assez strict. Il faut impérativement employer les termes "ensemble", "bleu", et "rêve" aussi. Depuis 2002, et sa campagne de pub représentant des tricolores déjà champions avant le début de la compétition, pour finalement de se faire étriller en phase de poule, on fait profil bas, et "victoire" a été remplacé par "rêve". Après avoir mélangé les gentils mots dans le gentil panier, on a pu dégager quelques proto-slogans :

"on rêve tous d'un nouvel ensemble bleu" , non.
"Tous bleus vers un nouveau rêve ensemble ", non plus.

Avant de s'accorder sur le déjà mythique : "Tous ensemble vers un nouveau rêve bleu"

On note la dégoulinante allusion au "rêve bleu", la chanson du film de Walt Disney "Aladin". Si vous avez le mal des transports, évitez de penser à cette phrase en voiture.

Brésil
Lotado! O Brasil inteiro está aqui dentro!
Le Brésil tout entier est à l’intérieur !

C'est que ce pays a une réputation d'exubérance à tenir. A eux les jolis buts, les gestes techniques fou fou, les dribbles carnavalesques, et les slogans rigolos sur le bus. Il faut rappeler que le Brésil, grand pays de 192 millions d'habitants, ne peut pas entier tout tenir dedans, ni dans l'équipe, ni dans le bus, ni dans le stade. C'est simplement un symbole, à mettre en regard d'un slogan allemand typique comme : "23 joueurs forment un nombre impair".

Danemark
Det eneste der kræves, er et dansk hold og en drøm
Juste besoin d’une équipe danoise et d’un rêve

Le Danois fait dans le zen : sachant qu'il a autant de chance de gagner le Mondial que d'envahir la Chine avec des divisions blindées, il goute les joies du dépouillement. Pour le Danemark, il faut une équipe de danois, condition sine qua non pour former une équipe danoise. Et le "rêve", car il y a une promotion sur le mot en ce moment, ça aurait été dommage de gâcher.

Allemagne
Auf dem Weg zum Cup!
Sur la route de la Coupe !

Clair et net. Essentiel. Concret. A la limite du protestantisme. Pas de "rêve", ni de "bleu". Normal, remarquez, les allemands jouent en noir et blanc. "Ensemble pour un rêve noir et blanc", cela fait rétro, Marlène Dietriech, qui chante "Ich bin von Kopf bis Fuß auf Liebe eingestellt". (ou alors "Tous ensemble pour un ange bleu"). Ne pas oublier de dire "sur la route de la maison" en cas d'élimination.

Ghana
The hope of Africa
L’espoir de l’Afrique

Comprenez : heureusement qu'on est là, nous le Ghana, pour relever le niveau, parce que l'espoir de l'Afrique, à part nous, on ne voit pas.

Grèce
La Grèce est partout !

Je reste interloqué devant une formule si énigmatique. Je regarde autour de moi et, sidéré, je constate que, effectivement, la Grèce est partout : des murs beiges houmous, de l'air couleur ouzo, des colonnes verticales olympiennes, de l'horizon horizontal. Mais pourquoi pas ! Tant qu'à choisir une formule qui ne veut rien dire, autant s'en donner à cœur joie. On suggère aussi "Grèce in the Sky with Diamonds", "La Grèce est partout comme une orange".

Honduras
Un país, una pasión, ¡5 estrellas en el corazón!
Un pays, une passion, 5 étoiles dans le cœur

Ah, quand résonne le nom du Honduras, un des vétérans de la compétition, me reviennent en mémoire les vignettes Panini avec les joueurs Hondurassiens, que l'on découvrait avec une certaine déception : "ah merde, une vignette du Honduras". Ils étaient quatre joueurs par vignette, comme pour les petites équipes. Le Malawi par exemple. On les avait toujours en double, les vignettes finissaient collées contre un réverbère. Tous les quatre ans revient la même résolution : cette année, je m'intéresse au Honduras.

Japon
L’esprit des Samouraïs ne meurt jamais ! Victoire pour le Japon !

Comprenez : ça va kamikaser sévère. Les Japonais ne sont pas franchement favoris, bien qu'ils aient inventé le dessin animé "Olive et Tom" (où le ballon devient plat tant il va vite, où les joueurs courent vingt-cinq minutes en discutant sur les vertus du sacrifice personnel et de la volonté de se surpasser) ; ils ne sont pas favoris, mais ils vont compenser tout ça par une motivation hors norme. On imagine déjà en fin de match, à cours de carburant, les attaquants japonais aller s’abimer contre la défense adverse, quitte à finir le match à quatre joueurs. Remarquez, les inventeurs de la Playstation, en raccourcissant les nuits des jeunes compétiteurs, ont sacrément fait un pas en avant dans la guerre psychologique.

Suisse
Hopp Schwiiz! - Hop Suisse! - Forza Svizzera! - C'mon Switzerland!
Il y a donc quatre langues en Suisse. On observera : c'est classé par ordre alphabétique. Coluche nous ayant quitté, je veux bien qu'on cesse de se moquer de nos voisins (les helvètes underground), mais si les supporters suisses encouragent leur équipe en criant "Hop Suisse !! Hop Suisse !!", on ne répondra plus de rien.



Je livre en outre quelques propositions personnelles pour des équipes non qualifiés :


Irlande :
La main sur le cœur, le pied sur le ballon (et non le contraire)

Andorre :
Dans les montagnes, pour la gloire du rêve et le pastis pas cher !
(avec l'attaquant vedette Cristiano Supermercado)

Russie :
Votre temps terminé Monsieur Bond microfilm à nous pouvoir !

San Marin :
11 joueurs, 11 rêves, 11 buts encaissés.

Mongolie :
More Goals for mongols !

Suède :
Le mode d’emploi pour construire l'étagère Billy de la victoire est dans nos cœurs !

Inde:
La victoire sans tacler par une approche du jeu non violente.

Belgique :
(Partant du fait qu'en argot, une "pipe" est un mauvais joueur, et pour honorer Magritte, je propose ) :
Ceux-là ne sont pas des pipes.

Pat

10 commentaires:

Didier Goux a dit…

Excellent ! J'en ricane encore...

Dorham a dit…

Moi aussi, et en tant qu'adminstrateur de ce blog, je l'ai lu au moins 4 fois. L'effet ne s'atténue pas.

Nicolas Jégou a dit…

Pareil que les deux autres, là, devant.

Suzanne a dit…

C'est la première fois que je lis EN ENTIER un article sur le foot.

C'est bien, Harald!

Balmeyer a dit…

Les hommes : merci.

Suzanne : merci pour lui.

Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
Sous le balcon ? Et bien ! toute ma vie est là :
Pendant que je restais en bas, dans l'ombre noire,
D' autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
C' est justice, etj'approuve au seuil de mon tombeau :
Molière a du génie et Christian était beau !

Suzanne a dit…

Balmeyer, c'est vous qui avez écrit ça ? Ah, oui, je regarde la signature. J'ai lu l'article en entier, sauf la dernière ligne. Ce qui explique aussi le commentaire de Dorham (mais vous êtes combien là dedans ? Et qui est le gardien de but ? je n'y comprends plus rien.)

Suzanne a dit…

De toute façon, vous allez vous faire allumer par le le CRAN car vous êtes tous blancs sur ce blog.

Dorham a dit…

Suzanne,

Dorham est Harald, le gardien de but dingo.

Balmeyer est Pat, le défenseur aux dents dévitalisées...

Nous ne sommes que 2, c'est quand même simple...

Anonyme a dit…

Excellentissime !

Duga

Ugo a dit…

Merci pour la glousserie.
Malawi : le rêve d'une vignette par joueur.

Christian