dimanche 23 mai 2010

Los Sufridores


"Ceux qui souffrent" : c'est ainsi que se sont surnommés les supporters de l'Atletico Madrid, club du sud de la capitale espagnole. Dans l'ombre du richissime et clinquant Real, Disneyland aux dépenses stratosphériques, dans ce club qui n'avait jamais plus rien gagné depuis un demi-siècle jusqu'à cette année, les supporters y ont développé la culture de la défaite. L'autre surnom de l'équipe est "El Pupas" (les poissards). La campagne pour les abonnements, ai-je lu, est d'ailleurs centrée sur cette particularité : C'est un peu "venez souffrir au stade voir votre équipe ne pas remporter de titre", chose assez étrange vu d'ici, où l'on s'imaginerait plutôt trouver à tout prix des bouts de victoires pour motiver les gens à payer leur place.

Cette conscience aiguë de la défaite comme moteur n'est pas si surprenante. Rebondissant sur le précèdent billet de mon collègue, je me demande si l'attachement durable que l'on peut éprouver pour ce sport mal aimable ne tient pas entièrement dans une sorte de masochisme similaire, une frustration sublimée, désillusion érigée en mythe. Il n'y a qu'à voir en France les "ceux qui souffrent" à nous : ceux considérés comme publics de premier ordre, hormis Marseille, supportent souvent des équipes en perdition, ou au passé trop lourd à charrier : Paris, Saint-Etienne, Lens, sans parler des équipes naufragées comme Nantes. Les supporters s'y énervent seuls, s'entretuent, les joueurs sont des pigistes de passage.

Aux antipodes du supporter dans la mine, loin du rêve, dans la soute, le footix rieur s'enflamme pour la dernière performance, prend en marche le wagon des réjouissances obligatoires, saute sur ce qui fait monter le moral des Français, avant de tout oublier lorsque revient le temps normal du non-exploit, du gagne-petit, le temps de l'élimination quotidienne. Ils applaudissent complaisamment les Arles-Avignon qui montent, les Quevilly qui passent, et les petits poucets qui triomphent, mais l'amnésie les frappe soudain quand ces clubs sont dispersés au vent dans l'anonymat, que leurs joueurs deviennent assureurs ou vendeurs de piscines. Quant aux vainqueurs plus récents, je pense notamment à Lyon, ils semblent ne pas avoir éclusé suffisamment d'années de lose pour atteindre cette épaisseur. Où sera le public lorsque la roue aura tourné, lorsque la guigne sera installée pour un moment ?

Je me demande si j'aurais eu la même fascination pour ce sport si je n'avais pas été harponné, comme la plus part des gens de mon âge, comme le Harald/Dorham de la veille, par ce match fondateur que fut le France-RFA de 1982, une défaite, bien entendu. Actuellement, cet intérêt est difficilement justifiable pour "ceux qui ne souffrent pas", car le constat est sévère : le football est souvent perçu comme un spectacle animés par des enfants gâtés, surpayés, qui ne font rien d'eux mêmes, qu'on voit marcher, boudeurs, des écouteurs en permanence dans les oreilles, même pour une randonnée dans la montagne, à Tignes ! Lorsque je vois encore ces pauvres supporters passer le week-end dans des autobus pour suivre leur équipe s'incliner sans envie dans les quatre coins de France, je me demande quel sens du sacrifice quasi-christique doit les animer pour ne pas se décourager !

Nous reviendrons prochainement, ce mois, sur cette partie, France RFA 1982 avec ce que Harald appelle à juste raison ses "accents romantiques", match référence qui nous a fabriqué, bavards grandiloquents sur un jeu de ballon, dans l'espoir que revienne un jour une grandiose et comparable tragédie en chaussette.

Photographie : Massimo Furlan, lors d'une performance au Parc des Princes en 2006 nommée "Numéro 10", rejoue la demi-finale de Séville 1982. A l'intérieur d'un stade vide, seul sur le terrain, il endosse le rôle de Michel Platini et restitue intégralement les actions et les réactions du meneur jeu, pendant les 90 minutes qu'a duré le match, ses prolongations, et ses tirs au but.

Pat

13 commentaires:

Didier Goux a dit…

C'est amusant car ce France-Allemagne de Séville est le tout premier match de foot que j'ai regardé dans ma vie.

(Oui, je sais : j'étais pas en avance...)

Dorham a dit…

Tiens, donc, y aurait pas comme un bug ?
Y a un commentaire de Didier dans la liste de droite qui n'est lisible nulle part...

Anonyme a dit…

L'autre surnom de l'Athletico Madrid est : Les Matelassiers (Colchoneros).
Eu égard leur maillot rayé rouge et blanc. Soit disant qu'en Espagne, les matelas étaient majoritairement recouverts de ce décor.
A défaut de reposer sur leurs lauriers...

Duga
Au pieu

Anonyme a dit…

C'est bien d'avoir choisi Battiston comme co-héros de ton blog.
Il se trouve que je le vois souvent au Haillan, lieu d'entrainement des Girondins. Il est Directeur du Centre de formation et entraineur de la réserve qui évolue en CFA.
La réserve, un mot qui lui va bien. Quand on connaît son passé, ses qualités d'homme, on est surpris qu'il passe sa seconde carrière dans l'ombre, dans l'anonymat.
A part en souvenir de ce fameux France-Allemagne, on n'évoque jamais son nom, quelque soit le sujet. Il a gardé sa démarche énergique, la tête haute, le regard clair, pas un poil de graisse. Pas un sourire non plus. Aucune ostentation. Avec ses cheveux blancs, il ressemble à un cadre sup qui rentre de son footing.
Quand il retourne dans les vestiaires un peu minables de la réserve, il fend la foule, imperturbable. Aussi indifférent à la foule que la foule l'est envers lui. Les nombreux touristes qui viennent assister à l'entraînement des pros ne le connaissent ou ne le reconnaissent pas. Personne ne se retourne, personne le salue. Et pourtant, quelle carrière, quelle droiture, quelle sportivité ! Il ne reste rien qu'une ombre qui passe, qui forme des pros et qui tente en même temps de former des hommes. C'est cette deuxième obligation qui doit le rendre soucieux. On le comprend.
Sic gloria transit

Duga
Paaaatriiiiick !

Anonyme a dit…

Damned
Excuses moi, je me suis trompé d'endroit, ça n'a rien à voir avec l'Athlético.

Duga
Distrait

Balmeyer a dit…

Ben moi aussi j'ai reçu un com de didier ! Il l'a supprimé ?

Anonyme a dit…

C'est vrai que le "statut" de supporter intrigue, fait parler, inspire une foultitude de clichés. D'autant que le supporter est enfermé dans une caricature. Et si le supporter en question ne correspond pas au portrait robot, il intrigue encore plus. Quand je dis que je suis abonné à l'Orchestre symphonique de Bordeaux et aussi abonné aux Girondins, les gens s'interrogent sur ma santé mentale.
"Quel superbe vibrato !" le mercredi, "Oh hisse enc…" le jeudi ! Comment est-ce possible ? Mais là n'est pas le sujet.
Pour les béotiens du foot, pour les partisans du "Que le meilleur gagne" et du "Donnez leur chacun un ballon", il faut qu'ils sachent qu'un supporter supporte d'abord un club et accessoirement des joueurs. Un supporter supporte des couleurs, un écusson, un passé, une histoire, un ancrage sociologique, une ambiance, un état d'esprit-club. Les joueurs qui enfilent ces maillots et portent ces couleurs, on ne s'en fout pas tout à fait mais presque. On sait qu'ils sont de passage, comme l'entraîneur et parfois le président. Seuls sont pérennes, l'écusson et les supporters (les vrais, pas les opportunistes). C'est aussi irrationnel que de tomber amoureux, mais c'est comme ça.
Pour parler d'un club que je connais bien, on est supporter du scapulaire blanc environné de la couleur marine. Et accessoirement de Gourcuff, de Carasso ou de Blanc, malgré toutes les vertus qu'ils ont ou qu'on leur prête.
Reste plus qu'à souffrir.

Duga
C'est grave docteur ?

Dorham a dit…

Duga,

je connaissais, le truc de "colchoneros". C'est aussi le club du célèbre Jesus Gil y Gil, une sorte de Tapie à l'espagnole...

Ce que tu dis du supporter est vrai, il n'y a heureusement pas que des beaufs dans les stades. Bien souvent, j'ai converti des allergiques au foot en les emmenant au stade, tout simplement. Le parc en fusion est la seule chose qui vaille le déplacement, tant l'équipe est en dessous de tout. Mais enfin, même ça, Colony Capital est en train de le casser, au nom de la lutte contre le hooliganisme - prétexte pour "lisser" l'ambiance ; à l'américaine. Consomme et tais-toi...

Balmeyer a dit…

Duga, merci pour ces excellents commentaires, surtout la description de Battiston ! :)

Sinon, je remets le commentaire de Dudier Goux qui semble avoir sauté, inexplicablement :

"C'est amusant car ce France-Allemagne de Séville est le tout premier match de foot que j'ai regardé dans ma vie.

(Oui, je sais : j'étais pas en avance...) "


Aucune idée d'où peut venir ce bug, j'en suis désolé, c'est la première fois que je vois ça avec blogger... :(

Pensez BiBi a dit…

Euh... pas toujours des Loosers à l'Atletico : c'est bien l'Atletico qui a gagné la Finale européenne contre Fulham, non ?

Didier Goux a dit…

C'est juste que vous avez créé le premier blog qui élimine de lui-même les trolls : un mélange entre 2001 l'odyssée de l'espace et Terminator, quoi. Le pouvoir des machines...

Dorham a dit…

Bibi,

Certes, ils ont gagné des trucs, mais enfin, il ne peut y avoir de comparaison avec le Real. Comme entre l'Atletico et Getafe...

Ou entre le Barça et l'Espanyol...

Balmeyer a dit…

Bibi : oui, ils ont gagné cette année, la formule n'est peut-être pas claire : "plus rien gagné depuis un demi-siècle jusqu'à cette année"

Mais fidèles à leur réputation, ils ont perdu dans la foulée la finale de la coupe du Roi contre Séville ! :)